LAO SIU LEUNG PAK MEI KUNE

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mercredi 29 mars 2023

Billet d’humeur : Le sens de l’Étiquette

 

L'étiquette Li Yi


Voici un petit article que je projetais de rédiger il y a déjà un moment de cela.

Il m’arrive régulièrement de recevoir des messages personnels, emails, etc… de demandes d’enseignement, par cours zoom ou en présentiel. Ces demandent m’arrivent du monde entier, détails qui, vous le verrez par la suite, a son importance. Force est de constater que nombre de ces messages manquent cruellement de formule de politesse, de vouvoiement et de respect ; en un mot : d’étiquette.

Je constate tristement que ces manques sont majoritairement français. Je n’imagine pas que le français soit purement et simplement impoli, je crois qu’un souci plus profond, lié à sa culture (point de vue culturel bien français) tout autant qu’à son inculture (ignorance profonde des autres cultures), sous-tend cette problématique.

Ainsi, j’ai dernièrement reçu ceci : - Hello, tu enseignes le Pakmei online ?

Quelle n’est pas ma surprise (et accessoirement mon mécontentement) à la réception de ce type de message. Il est certain que chacun éprouve une sensibilité à des degrés divers, mais j’ose tout de même me questionner : à quel moment quelqu’un peut-il s’imaginer qu’un enseignant sérieux accéderait favorablement à sa requête sans la moindre lueur d’un début de formule de politesse ? Sans témoigner d’un minimum de respect? Ma réponse à ce genre d’incorrection est radicale, j’ignore irrémédiablement la demande.

La politesse est une valeur fondamentale, indispensable dirais-je même, de nos rapports sociaux, dont le respect en est un résultant. Sans politesse, il n’existe pas de respect, sans respect, chacun se comporte tel qu’il le souhaite et le plus fort s’impose de sa toute-puissance.

 Je constate également que les apprenants ne s’embarrassent que très peu de l’utilisation des titres*. Comme vous le savez tous, le terme consacré à un enseignant d’un art martial quelconque est maitre, sous sa forme francisée, ou sous sa forme sinisée 师傅 (Shifu en mandarin, Sifu en cantonais). J’imagine que bon nombre doivent trouver le titre quelque peu ronflant, pourtant, lorsqu’il s’agit d’un avocat, nous nous adressons à lui par cette dénomination. De même, lorsque nous interpellons un docteur, nous le nommons par ce dernier intitulé ; les exemples sont pléthores.

Dans sa version méliorative du sujet des arts, le terme de maitre et celui d’une personne possédant la maitrise. Celle-ci s’acquiert par de nombreuses années d’étude, puis par le développement personnel de la discipline étudiée pour enfin être en mesure à son tour, de la transmettre. Cette expertise demande du temps, du travail, de la pédagogie et quelquefois même, du talent. À l’ère de la mode du contenu superficiel Insta, Facebook et autres Tiktok, qu’en reste-t-il une fois les smartphones et tablettes éteints ? La connaissance du patrimoine immatériel est un sujet sérieux et profond qui ne devrait pas être sous-évalué. Reconsidérons la place que les garants de ce savoir devraient occuper.

Ce manquement aux valeurs de respect est alors lié, je pense, à l’inculture du français qui y voit, à travers le spectre de sa propre culture, une image péjorative et erronée d’un maitre spirituel omnipotent imposant sa dominance et ayant une emprise sur ses élèves tel le maitre sur son chien. La faute revient également possiblement aux nombreux pseudos gourou ayant galvaudé le terme et abusant de la crédulité de leurs élèves. Une possible seconde raison de cette perte de bienséance pourrait résider en ce que la société française et ses valeurs - liberté-égalité-fraternité - placent les individus sur le même niveau. Encore, la séparation de l’état et de la religion et l’idée sous-jacente de la formulation « ni dieu ni maitre » peuvent pareillement avoir une certaine incidence. Je ne remets bien entendu pas en question le bienfondé de nos valeurs, mais dans certains esprits simplistes, celles-ci resonnent sans la moindre nuance. Ainsi, n’en déplaise à certains, l’acte d’enseignement implique résolument, par la hiérarchisation, un rapport de subordonné : celui d’un étudiant venant solliciter un enseignement auprès d’un sachant.

Me concernant, lorsque j’entre en contact avec un maitre (ou me rends directement à son école ou son domicile), je fais automatiquement preuve d’une grande politesse et d’un tout aussi grand respect. Je me place avec modestie en tant qu’élève. Je ne cherche pas à lui faire ressentir dans nos échanges mes connaissances, une potentielle égalité ou supériorité. Bien au contraire, j’essaie ici encore respectueusement de ne pas le froisser et tente d’absorber son savoir de la façon la plus juste et courtoise possible. Cela se nomme l’étiquette . L’étiquette, que nous pourrions aussi nommer la bienséance, est l’une des normes morales de la société humaine qui agit dans le but de promouvoir l’harmonie interpersonnelle. En d’autres termes, c’est une sorte de pont permettant de créer l’harmonie avec autrui. Elle marque et souligne l’état civilisé d’une société et reflète même quelquefois la perspective spirituelle de son peuple. L’étiquette est de fait, d’une importance fondamentale dans la communauté du Wulin 武林 (textuellement « forêt martiale », la communauté des pratiquants) et s’inscrit dans les notions de vertus martiales, les Wude 武德. Sans le respect de l’étiquète, croyez bien qu’il me serait impossible de tisser des liens, gagner la confiance et la considération d’un maitre et bien entendu, de bénéficier d’un enseignement sérieux.

L’étiquette ne devrait donc pas être perçue comme une vieillerie barbante surannée, mais devrait plutôt être perçue comme un véhicule et le garant de valeurs œuvrant à la conservation de rapports sociaux cordiaux. Ceci dit, ne vous méprenez pas, je n’ai, en tant qu’enseignant, guère besoin de dizaines de Salam Aleykoum de la part d’apprenants. Néanmoins, au même titre que je le fais moi-même lorsque je voyage dans des contrées reculées pour solliciter des enseignements, j’attends un témoignage de respect minimum qui traduit, en mon sens, un réel désir d’accéder à l’enseignement et donc, un plausible sérieux dans le processus d’apprentissage à venir.

Si ce petit texte résonne en vous positivement ou coule de source, c’est que vous êtes sur la bonne voie, autrement, je crois qu’il serait bon de revenir aux valeurs fondamentales.

Vous souhaitant une bonne pratique.

 

*Ceci étant, je tiens à préciser que lors d’échanges avec certains de mes pairs (je les salue) l’étiquette est généralement plus présente que lors de sollicitations d’enseignements provenant d’étudiants.

 

vendredi 27 janvier 2023

Sortie de la réédition du "Mystérieux et Impitoyable Fatsan Pakmei Kung-fu"



    Voici la raison de mon absence sur les réseaux et toute vie et connexions sociales ces derniers mois!

Après trois années de travail, de nuit de labeur et d’innombrables heures, j’ai l’immense plaisir de vous informer de la sortie de mon dernier ouvrage ; la réédition, agrandie et améliorée du « Mystérieux et Impitoyable Fatsan Pakmei Kung-fu », le seul et unique ouvrage au monde écrit sur cette boxe authentique.


Version couleur à gauche et version noir et blanc à droite


    Plus qu’une réédition, c’est en réalité un tout nouvel ouvrage, plus complet, plus abouti, douze années après la sortie du premier.

Ce dernier contient trois parties :
· 1 Histoire et Culture
· 2 Pratique à Mains Nues
· 3 Pratique Armée

    L’ouvrage se développe de façon chronologique, sous forme d’entonnoir où chaque chapitre termine par une question menant au chapitre suivant. Partant des différents termes employés depuis l’antiquité pour nommer les arts martiaux, il poursuit par une présentation générale des diverses boxes chinoises puis, par le développement des arts martiaux spécifiquement à Foshan. Il traite ensuite des légendes rattachées au style Pakmei, mais également aux boxes provenant du Shaolin du Sud ; le développement des arts martiaux au mont Emei, jusqu’à l’histoire réelle du style, puis, le village et la demeure ancestrale de Lao Siu Leung. Tout ceci agrémenté d’anecdotes et d’articles provenant de mon expérience personnelle sur les terres du Pakmei.

La partie technique comprend les théories essentielles et les concepts fondamentaux, les huit stratégies de combat prédominantes, la “Forme de la Croix“ (Sap Dji Kune 十字拳) entièrement développée et ses applications. Sont également présentés les méthodes de conditionnement physique et leurs instruments de développement, ainsi que ma philosophie du combat liée à la psychologie hautement agressive du style.

La partie armée aborde l’arsenal du style et démontre 15 de ses techniques aux : bâton, banc et sabre lourd à deux mains.

L’ouvrage contient 550 photos, 40 techniques à mains nues, 15 techniques armées et 3 techniques complètes développées sur le mannequin de bois et en parallèle avec un partenaire.

Je relate également ce qu’est une tradition dans les règles de l’art, en développant le déroulement de la cérémonie d’intronisation d’un nouvel élève, le Baisi, ainsi que la façon dont est constituée la hiérarchisation des rangs au sein d’une école chinoise.

Vous découvrirez, à travers mes réflexions, le regard critique, mais bienveillant que je pose sur le développement des styles de boxes chinoises « traditionnels » en fonction de mes recherches et de mon expérience.

Cet ouvrage est le fruit de trente années d’expérience dans les arts martiaux, dont vingt-cinq de kung-fu et presque vingt de Pakmei. Au-delà d’être l’unique publication au monde présentant la « Boxe du Moine Sourcils Blanc de Foshan », c’est également une œuvre démêlant les méandres des boxes chinoises et leur développement, ainsi que le témoignage vivant attestant que tradition est modernité ne sont pas antinomiques.

J’ai également l’immense joie, et je dois l’admettre, tout aussi grande fierté, de bénéficier d’une préface de M. Jose Carmona, auteur du prestigieux « De Shaolin à Wudang », édité chez Trédaniel, 1999. Si vous pratiquiez les arts martiaux chinois dans les années 90, M. Carmona n’est plus à présenter, vous avez obligatoirement lu ses écrits dans « Arts et Combats ». Nos chemins parallèles finirent par converger par deux fois, résultant cette dernière par quelques lignes rédigées de sa main experte. Je voudrais ici lui exprimer une nouvelle fois ma gratitude et lui faire savoir que je lui en suis extrêmement reconnaissant.

Le Mystérieux et Impitoyable Fatsan Pakmei Kung-fu est disponible sous DEUX VERSIONS: une Classique et une Luxe.
























    La version classique contient l’ensemble des informations précitées. La version Luxe est, comme son nom l’indique, plus qualitative et s’adresse aux initiés souhaitant conserver l’ouvrage tel un objet de collection. Cette dernière comprend nombre de matériels supplémentaires, photos, vidéos par QRCODE, marque-pages… et se trouve être naturellement plus onéreuse.

1- CLASSIQUE noir et blanc (nuance de gris) de 370 pages, disponible sur le site Thebookedition ainsi qu'auprès de moi.

 Le Mystérieux et Impitoyable Pakmei - Jonathan Barbary (thebookedition.com)


2 - LUXE en couleur disponible UNIQUEMENT auprès de moi. Cette dernière n'est disponible pour le moment qu'en 100 exemplaires et sera signé personnellement. 

Pour réserver l'exemplaire couleur contactez moi par message privé ou email: pakmei@free.fr




    Il faut considérer que l’ouvrage de base est la version classique. Celle-ci contient tout ce qui peut intéresser un non pratiquant de Pakmei, en somme l’essentiel à savoir. Elle coûte 35 euros.

La version Luxe comme son nom l’indique est vraiment « luxueuse » et contient du matériel supplémentaire (texte et vidéo). Elle fait 400 pages, papiers glacés etc.. et coûte donc beaucoup plus cher à faire imprimer. Elle s’adresse vraiment à ceux qui en ont un intérêt poussé et pratiquent le style, ou à ceux désirant avoir un « bel » objet. Elle coûte 85 euros.



J’ai tenté, en en faisant deux versions, de satisfaire toutes les bourses.

                                                                   

                                                                                                    Bonne lecture! 

jeudi 31 mars 2022

Stage exceptionnel de Wudang Songxi Neijia Quan

 

   STAGE A VENIR !


            Nombre d’entre vous savent que je pratique et enseigne un certain nombre de boxes rares, tant du nord que du sud de la chine. Je les garde généralement jalousement.

     Pour la première fois, j’ai décidé de partager avec vous durant un stage, le Songxi Neijia Quan, la “Boxe Interne de Songxi“. Connue et reconnue dans le milieu des arts martiaux chinois sérieux, la boxe Songxi est restée enseignée de façon confidentielle durant toute sa très longue et riche histoire; rares sont ceux ayant eu l’occasion de l’étudier.

         Je vous propose un stage sur deux jours dans ma région.

  Si vous êtes intéressés, manifestez-vous et faites-moi parvenir votre email à pakmei@free.fr,  je vous enverrai un pdf complet de présentation du style et du stage à venir.

  Ne manquez pas l'occasion d’accéder à ce savoir aussi rare que passionnant !




vendredi 14 janvier 2022

Stages et ouverture d'esprit, loin du sectarisme

 

    De retour du stage fédéral FFK dans lequel je rencontre de nombreuses personnes.

    Sur l’initiative de Stéphane Molard et du comité directeur de la section Wushu, une commission des arts traditionnels a vu le jour dont l’intérêt premier est d’ouvrir l’esprit sur les pratiques traditionnelles et légitimes présentes dans l’hexagone. Cette commission réunit à ce jour 19 experts représentant chacun un style spécifique. Ainsi, sont présentes les boxes Tongbei, Pakmei, Wingchun, Cha Quan, Qixing Tanglang, Taiji Tanglang, Shaolin, Taijiquan styles Yang, Chen, Sun, Wudang… Xinyi Quan, Baji Quan, Choy Lee Fut, Zui Quan, Yi Quan, Bagua Zhang…

    Lors de ces stages ouverts à tous (dont le prochain se situera à Montpellier le week-end du 30 avril et 1mai), nous accueillons des pratiquants provenant de tous horizons. Certains viennent chercher un style à poursuivre sur le long terme, tandis que d’autres viennent pour le partage et la curiosité. Tout ceci est donc très positif, mais cela fait désormais plusieurs fois que je rencontre une même problématique.

    Un certain nombre de participants sont contraints de joindre l’événement dans le secret de leurs enseignants. En effet, beaucoup me rapportent l’interdiction absolue de s’y rendre, une pression subie ou une mise à l’écart du groupe si par mégarde le fait se savait.

    Loin d’être anecdotique, force est de constater que ces comportements sont tristement courants. Ceux-ci démontrent en mon sens deux choses. Premièrement, un manque de confiance en eux de ces fameux enseignants ; il est aisé de briller face à des pratiquants inexpérimentés et ainsi réussir à faire illusion un certain temps. Secondement, un manque de connaissance historique et culturelle du développement de nos arts.

    Ces enseignants embrument généralement leurs élèves dans un épais voile mystique opaque n’ayant que très peu avoir avec la réelle “tradition“. Les dogmes d’enseignants ne s’étant pas formés en chine et utilisant des méthodes de management de leurs troupes revendiqués comme traditionnelles, n’en sont pas, n’en sont plus, ou n’en ont tout bonnement jamais été. Je m’explique…

    Les idées erronées sur la tradition tout autant que les interdictions y sont nombreuses. Les exemples sont légions et pour n’en citer que quelques-uns :  le “dojo“ sanctuaire sacré dans lequel l’élève ne peut être lui-même et doit se plier à un conformisme exacerbé, le salut du tapis ou du lieu d’entrainement, ou encore, le maître adoptant une posture faussement supérieure, sont autant de fausses coutumes n’ayant place que dans les écoles occidentales voulant se donner une stature “asiatisante“. L’impossibilité de participer à des stages d’autres écoles ou encore mieux, l’interdiction à peine dissimulée d’échanger sur les réseaux sociaux avec d’autres pratiquants (si, si, je l’ai vu) plongent l’élève dans une incompréhension de laquelle il ne peut, par habitude et conformisme, raisonnablement se soustraire. Généralement, lorsque l’élève ose et les questions sont posées vis-à-vis de ces “méthodes“ les réponses sont soit nébuleuses, soit agressives, prétextant que l’enseignement ou la doctrine de management ne peut être traditionnellement contesté.

    Il est important d’arriver à distinguer les élucubrations de la réelle “tradition“ de la transmission de l’enseignement puisé dans la doctrine confucianiste derrière laquelle ces enseignants se cachent pour justifier ces comportements déviants. Également, toute “tradition“ n’est pas, d’un point de vue moral, toujours bonne à conserver.  

    Bien qu’il soit vrai que les maîtres de l’ancien temps jouaient en effet la carte du secret, qu’il existait jadis une certaine difficulté à aller voir ailleurs ce qui se faisait, ou que, lorsque ceux-ci parlaient, les élèves écoutaient et s’exécutaient, ces temps sont aujourd’hui révolus. La situation évolua peu à peu grâce à des maîtres réformateurs. À titre d’exemple historique, je citerai de grandes institutions telle l’Association Jingwu de Shanghai ou encore le Guoshu Guan de Nankin, qui dénoncèrent et luttèrent contre ces pratiques sectaires au début du siècle dernier. Ces dernières se débarrassèrent de l’occultisme et furent les premières à proposer l’enseignement de diverses boxes dans une académie commune en partageant un même bâtiment. Les maîtres n’étaient plus en confrontation, mais travaillaient côte à côte, enseignant leur style respectif pour le bienfait que pouvait apporter l’art martial à la nation.

    Paradoxalement, ces comportements vont bien à l’opposé des valeurs communément admises et mises en avant sur les sites internet de nombre de ces écoles, à savoir, “le développement personnel, l’ouverture, l’équilibre, la quiétude et la bienfaisance“. Prenons garde à cette “spiritualité“ à deux vitesses. Lorsque la passion fait place à l’obligation, la joie à l’anxiété, l’ouverture à l’enfermement, il est temps de se poser les bonnes questions. La relation de maître à élève est à revoir entièrement. Enfermer un oiseau dans une cage n’a jusqu’à preuve du contraire jamais permis son épanouissement. Je crois personnellement que l’élève doit naturellement rester avec le professeur qui lui convient et que cela passe par le respect, les compétences, les qualités humaines et non la force. L’enseignant doit faire preuve de transparence et de bienveillance et non de réprimandes et médisances. Le maître souhaite logiquement le développement de son élève. S’il ne possède pas les compétences nécessaires, pourquoi l’empêcher de s’abreuver à une autre source ? Loin de rabaisser l’enseignant, c’est au contraire faire preuve de grandesse.

    Traditionnellement, une école de kung-fu est une communauté dans laquelle tout le monde s’entraide et se supporte. Dans mon école des couples ont vu le jour résultant sur l’achat de maison ou de construction de vie. Des relations de travail et des projets professionnels y sont nés. L’école et l’art martial peuvent être des tremplins pour une progression sociale, des véhicules vers un développement personnel, si, une fois de plus, l’enseignement y est dispensé avec bienveillance.


            Pour finir, je tiens à chaleureusement remercier et féliciter les participants à ces stages et à inviter tous ceux désirant nous rejoindre à le faire, toute école ou style confondus, "L'ouverture d'esprit n'est pas une fracture du crâne" Pierre Desproges (1939-1988).

                                              

            Wulin Yi Jia   

           “La confrérie martiale n’est qu’une même famille






samedi 13 février 2021

Arts martiaux chinois Développement personnel-philosophique-spirituel Influence culturelle et religieuse

 

 

Il m’a été demandé par message privée la relation entre les diverses doctrines et la pratique martiale (je te remercie au passage pour ta question, ces dernières engendrent toujours des réflexions). Comment les diverses religions ont pu influencer les arts martiaux chinois dans leur construction technique ? Dans la question initiale figurait également la question suivante : est-ce que la doctrine (comprendre la philosophie et/ou la spiritualité) fut un rajout idéologique tel un vernis posé sur un objet ayant pour objectif de le rendre plus beau ? Ou existait-elle dès son origine ? Ici, deux questions s’entremêlent.

Est-ce que comme mon contact, vous êtes-vous déjà vous-même profondément questionnés sur la provenance de cette “philosophie“ tellement mise en avant et inlassablement répétée comme étant intrinsèquement liée à nos arts ? Vous êtes-vous déjà fait votre propre réflexion sur la légitimité de ces dires, en dehors du fait que cette idée soit communément établie et admise “parce que tout le monde le dit“ ? Cette philosophie des arts martiaux est-elle en relation directe à votre pratique physique de ceux-ci ? Et finalement, l’art martial peut-il être un véhicule de développement spirituel ?

Ces diverses interrogations créées des réflexions conduisant à tout autant de nouvelles questions dont certaines pourront être résolus par l’examen des faits historiques, tandis que d’autres ne pourront être abordées qu’au travers du point de vue que chacun porte sur l’art martial, en relation à nos différents degrés de compréhension, chacun en ayant sa propre perception. Le terme “spiritualité“ est également à définir, ce terme est un peu un “range tout“ qui demande à s’accorder sur le sens que l’on veut lui donner dans notre sujet.

Certaines réponses sont donc soumises à l’appréciation de chacun et j’apporterai mes réponses en fonction de mes propres convictions, tandis que pour d’autres, je répondrai de façon factuelle en fonction des cartes que j’ai aujourd’hui en main.

Également, comme d’habitude, ces réponses n’ont pas qu’une seule facette, c’est souvent le cas dans les questions traitant des arts martiaux chinois et leur histoire, ainsi, répondre de façon catégorique n’est pas toujours possible. Ceux-ci sont tellement complexes et multiples que les réponses se trouvent souvent être tout aussi complexes et multiples. Leur pratique et mode de pensé est si diversifié que l’on rencontre très paradoxalement tout et son inverse. En réalité, nous pouvions dans le passé rencontrer autant de manière d’appréhender l’art martial qu’il y a de chinois en chine, ainsi, il n’y a pas une seule norme, mais bien une foultitude de normes.

Comme j’avais déjà produit un écrit décrivant historiquement le développement conjoint du Wen [le littéraire] et du Wu [le martial], que j’avais traité sous l’angle du développement culturel sans n’être réellement rentré dans le sujet des religions, de leurs apports et de la spiritualité (voir l’article “le Wen et le Wu troisième partie“) ; je vais ici tenter de répondre à ces diverses questions en me focalisant majoritairement sur le plan de l’influence des religions.

Pour maintenant tenter d’apporter une réponse à la question initiale simplement, je dirai rajout idéologique tardif indéniable, mais également influence précoce certaine, et ceci n’a rien de paradoxale.

Avant de commencer il faut bien comprendre que l’art martial fut originellement développé exclusivement pour le combat, la défense des siens et de ses biens tout autant que pour l’agression et la prise de pouvoir et de terres sans distinction.  Son but premier est de réussir à sortir victorieux d’un conflit, juste ou injuste ; nous sommes ici loin de la pratique altruiste et bienfaisante religieuse que nombre s’imagine comme étant une norme. D’ailleurs sur ce sujet n’en doutons pas, les religieux prirent également les armes exactement de la même façon que les despotes, à savoir pour satisfaire leurs souhaits politiques ou leurs intérêts. En somme des hommes violents qui faisaient usage de la violence pour des considérations toutes personnelles.

Ceci énoncé, il est également réel qu’au fil du temps l’objectif de l’art martial se transforma, se dirigeant peu à peu vers quelque chose de bien plus positif et moralisateur, voir pour certains, salvateur.

Commençons…

 

Distinction de la culture et de la religion

La culture chinoise fut entièrement liée à ses arts martiaux, et c’est, en mon sens, ce qu’ils recèlent de plus captivant. Les diverses générations de maîtres intégrèrent dans leur pratique des noms et des images puisés dans leur quotidien et par extension, dans la culture ancienne ; leur quotidien en étant intrinsèquement composé. Cette même culture est constituée de divers apports provenant de l’histoire, des coutumes folkloriques (quelquefois locales), mais aussi des religions et écoles de pensées ayant fleuries ou ayant été développées sur le sol chinois.

Ainsi les images de personnages existant, de déités récupérées dans les diverses littératures, des relations à la métaphysique ou les symboles religieux apparaissent fréquemment dans nos arts, et ce, quel que soit leurs origines. Le néophyte ne comprenant pas profondément la culture chinoise et son histoire, confondra souvent ce qui résulte du culturel et ce qui provient du religieux, même s’il est vrai que les deux soient quelquefois intimement liés.

De fait, l’amalgame s’installe et c’est la raison de la croyance en des arts martiaux “religieux“.

Par exemple, les constituants métaphysiques que l’on attribue au taoïsme ne sont pas tous, toujours taoïstes d’origine. Les principes Yin-Yang, les Bagua 八卦 [8 Trigrammes], que ceux-ci ont repris et chérissent, proviennes de diverses sectes et écoles de pensés et ne furent assimilés dans le taoïsme que lors de l’harmonisation du taoïsme religieux effectués au premier siècle. Ces théories sont en réalité bien plus anciennes et font aujourd’hui partie intégrante de la culture chinoise au sens large. L’iconographie Bouddhiste également s’est répandue à toute la culture chinoise, certains dieux étant passés d’une religion à l’autre et ayant été assimilés dans diverses obédiences. De la même manière, des déités provenant du folklore local y furent intégrées. Le Confucianisme influença également à son tour grandement le Bouddhisme et de façon mineur, le Taoïsme. Pour cette raison, les gens ne font généralement pas bien la distinction quant à l’origine et l’appartenance de chaque élément. Le Bagua par exemple, considéré comme étant Taoïste, provient du Yijing 易經 [Livre des Transformations] dont l’auteur (ou les auteurs) est inconnu. Les commentaires sont attribués à Confucius (ce qui reste encore à prouver). De fait, il est le premier des “5 Livres Classiques“ confucéens. Les Taoïstes ne se le sont réattribué (ainsi que le symbole du Bagua présent sur leur robe, charmes, amulettes et temples) que plus tard.


Les 64 hexagrammes du Yijing 

La culture chinoise est donc constituée de ce tout et dès lors en chine, les gens se réclament de confession bouddhiste ou Taoïste alors qu’ils suivent en grande majorité la « religion populaire » qui est en réalité, avec le confucianisme, un mixe des trois. Il existe d’ailleurs en chine de nombreux temples rassemblant le culte des trois doctrines.

 

Arts martiaux religieux ?

De cette manière, les arts martiaux intègrent des éléments de ces trois religions/philosophies sans véritable distinction. Ces éléments se retrouvent dans les noms des styles, où sont attribués aux techniques des formes. Quelques fois des bribes se retrouvent également dans les principes théoriques les constituants, mais de façon très limitée et généralement les mêmes sont employés. Par exemple, le Yin-Yang est facilement transposable à n’importe quoi, les 5 Eléments ou le Bagua également, mais que peut-on transposer des principes intrinsèquement bouddhistes ? Que peut-on appliquer techniquement des principes de – l’arrêt de la souffrance – la loi de l’impermanence – du détachement des possessions – et bien sur le plus important, le refus d’utilisation de la violence et l’interdiction de tuer tout être vivant… qui leur sont si chers ? Au même titre, que peut-on transposer de l’Islam aux boxes dites musulmanes ? Que peut-on appliquer de l’amour inconditionnel d’un dieu unique ?

Dans le langage commun, nous attribuons alors des arts martiaux aux diverses religions, désignant de “boxes bouddhistes“ ou “boxes Taoïstes“, les arts martiaux pratiqués par ceux-ci. Je fais également souvent ce péché de simplification.

Il n’existe donc pas de boxes Bouddhistes, de boxes Taoïstes ou de boxes musulmanes, mais plutôt, des boxes pratiquées par des « Taoïstes » d’autres par des « Bouddhistes » ou encore par des « Musulmans » ; et dans notre compréhension des arts martiaux cette distinction à son importance. En réalité, la pratique martiale n’a pas de religion et, pour paraphraser Kennedy “je soupçonne fortement que si nous avions demandés à des Taoïstes si leur art l’était lui-même (et identiquement aux bouddhistes ou musulmans), il est probable qu’ils n’aient pas comprit la question et nous aient répondu que la boxe c’est la boxe ; la religion, c’est la religion“.

Evidemment, si une boxe est développée par des religieux elle comportera forcément des références à sa religion. En premier lieux parce que c’est ce qu’ils connaissent, en second parce que c’est ce avec quoi ils auront le plus d’affinité. De cette manière un fervent bouddhiste aura plus tendance à se diriger vers un art martial comportant des noms de techniques faisant référence à l’iconographie bouddhique, mais pouvons-nous pour autant considérer une boxe comme étant bouddhiste par l’iconographie qu’elle utilise ?

Je ne le pense pas, car ce lien n’est présent que dans l’imagerie et certainement pas dans les principes doctrinaires la constituant.  


Transformation progressive de l’art martial

Les moines en effet pratiquèrent également l’art martial (un faible pourcentage mais qui varia selon les époques), mais celle-ci fut initialement militaire (voir l’article les “Seng Bing“). De pratique de champs de bataille, les moines finirent par jouer de l’art martial dans leur temps libre simplement par goût personnel, pour le loisir, pour se maintenir en forme et non plus pour défendre le pays comme ce fut le cas originellement. Tardivement, certains y virent un lien avec un possible développement personnel/spirituel par l’ajout de Nei Gong 内功 ou Nei Dan 内丹 (importé du taoïsme) qui furent des exercices respiratoires de santé. Mais attention, de façon générale les pratiques “d’Alchimie Interne“ étaient considérées dans la chine ancienne comme ayant la faculté d’apporter des pouvoirs surhumains, l’immortalité du corps ou de l’esprit, mais pas nécessairement de devenir quelqu’un de meilleur. Quoi qu’il en soit, cette transformation naquit probablement dans le milieu religieux et fut adoptée et décrite par les maitres érudits de la haute société vers le milieu de la dynastie Ming (1368-1644).  

Cartographie Interne liée au Neidan selon les Taoïstes

Le monde intérieur représenté autrement


Pour le reste, les artistes martiaux (et grand nombre de ces moines de mauvaise réputation) étaient certainement plus des “Jianghu“ 江湖, les fameux “Rivières et Lacs“, bandits de grand chemin si chers aux romans populaires tel le fameux classique “Au Bord de l’Eau“ 水滸傳. Cette littérature abondante nous renseigne en effet sur ce que nous pouvions majoritairement trouver dans les périodes de ces écrits. Des hommes violents qui faisaient usage de la violence sans une quelconque recherche philosophique, l’utilisation de la violence étant une réponse acceptable aux problèmes de leur époque.

Nombre de biographie de ces “maîtres“ du passé les présente comme des fugitifs recherchés pour des homicides divers, ou comme des rebelles sans foi ni loi autre que la leur. D’ailleurs, même dans les cas ou des figures martiales importantes prônaient des valeurs de moralité, nous pouvons observer en étudiant leurs vies que nombre de ces préceptes n’étaient pas respectés par ceux-là même les divulguant*1. Les témoignages ne manquent pas sur le sujet, mais c’est également vrai dans l’autre sens… En effet, comme une pièce à toujours deux faces, il existait également plus tardivement des hommes pour lesquels la morale et le combat allaient de pair. Des maîtres de l’ère républicaine tels que le très fameux Sun Lutang 孫祿堂((1860-1933) expert de Taiji-Bagua-Xingyi) ou encore l’escrimeur émérite le général Li Jinglin 李景林 (1885–1931), firent un grand travail théorique d’assimilation de l’art martial avec des principes métaphysiques et couplèrent cela au développement personnel. Parallèlement, des maîtres comme Tang Hao 唐豪 (1897-1959) développèrent une idée plus moderne des arts martiaux, réexpliquant ceux-ci, les dépoussiérant de toutes les croyances ésotériques considérées comme étant une des sources majeures des problèmes dont souffrait la chine et comme étant une preuve de leur société arriérée. Leurs écrits influencèrent toute la société martiale de leur époque et continue de le faire de nos jours.

Maitre Sun Lutang en 1930

Comme je le disais plus haut, cette tendance existait déjà par le passé mais n’était étudiée et valorisée que par les élites érudites et se développèrent surtout une fois que les armes à feu firent leur apparition. Il fallait bien redonner un sens à la pratique martiale devenu dès lors obsolète. Comme ce fut ces élites qui écrivirent sur les arts martiaux, et non les pratiquants lambdas illettrés qui étaient infiniment plus communs, tout le monde pensa que le but des arts martiaux fut, depuis leur origine, le développement personnel.  

 

Pourquoi l’art martial semble-t-il alors si souvent assimilé à la religion ou à ses moines ?

La mythologie s’est emparée de l’histoire. Par exemple, dans le Fujian, diverses déités locales sont considérées comme étant les créateurs/créatrices de nombreuses boxes. Au même titre, le bâton de Shaolin a pour origine mystique la divinité Jin Naluo 紧那罗. Également, certains styles ont carrément pris pour noms Fo Quan [boxe bouddhiste] en mandarin ou Fat Gar Kuen 佛家拳 [famille bouddhiste] en cantonais. Le Taiji Quan lui-même fut associé (à tort) à l’ermite Taoïste devenu immortel, Zhang Sanfeng 张三丰. Les boxes des “disciples du bouddha“ 罗汉 [Lohan Quan] ne se comptent plus, tout autant que les récits de moines itinérants redressant les bandits et prêts à sauver la veuve et l’orphelin.

Jin Naluo créateur légendaire du batôn de Shaolin

Il faut également savoir qu’en dehors de la pratique même des moines, les temples furent des lieux privilégiés d’enseignement et de démonstration. Les maîtres locaux utilisaient souvent les lieux pour dispenser leurs enseignements (c’est encore aujourd’hui le cas). Également, comme l’art martial faisait partie de la vie de la communauté, ils étaient démontrés lors de festivals se tenant généralement dans ces mêmes temples*2. Les artistes martiaux s’adonnaient donc à certains rituels et prenaient couramment part à des processions…

Pratiquant le bâton lors d'un festival religieux en l'honneur de Tin Hau, déesse de la mer. Hongkong 2011

Un excellent exemple de cette tendance se trouve dans l’histoire du développement de la secte Tian Di Hui 天地会 [Société du Ciel et de la Terre] qui prit pour habitude d’utiliser les temples pour la formation de leurs rebelles/combattants au milieu de la dynastie Qing (1644-1912). Les créateurs de la Tian Di Hui furent des moines, de diverses obédiences, nous avions donc là des religieux acceptant d’utiliser les armes pour leur idéologie. Leur légende très connue du grand publique par le biais des Wuxia 武侠 (romans martiaux) contant leurs exploits contribua à la popularisation de l’idée.


L’art martial développement personnel ou développement spirituel ?

Pour commencer il faut arriver à s’accorder sur le sens que l’on donne à l’un et à l’autre. Le développement personnel dans le sens où je l’entends (ceci est très personnel et argumentable) est la recherche d’équilibre entre le physique et le mental, le juste milieu apportant l’équilibre d’un être. Cela peut se traduire par le dépassement de soi, de ses doutes, ses faiblesses, la recherche du bien-être dans la santé, l’aspiration à devenir quelqu’un de meilleurs… et cela passe par l’apprentissage de la rigueur, de la discipline et de la concentration.  

Quant au développement spirituel, c’est ce qui a affaire au divin, au monde de l’invisible, à la vie après la mort ou en toutes sortes de croyances occultes et ésotériques. L’accession à un certain état de conscience avancé ou de sagesse et cela passe par les prières, la méditation, la contemplation….

Le spirituel n’est pas uniquement destiné à être un véhicule pour devenir quelqu’un de meilleur, il s’agit certaines fois uniquement de se rapprocher des esprits et ceux-ci peuvent être malins. L’appel des démons par la prière ou les cérémonies font partie de l’équation.

Développement personnel et développement spirituel ne sont également pas toujours aisés à distinguer car quelquefois ces deux chemins peuvent se croiser.

Comme je le disais, il faut faire attention, et c’est ici que cela se complique, la “spiritualité“ en chine ne fut pas forcément synonyme de “recherche intérieur“ ayant pour but de devenir qu’un de meilleur. Pour bien comprendre, il faut replacer le rapport au divin, au religieux dans la chine ancienne, et ne pas l’aborder tel que nous le comprenons dans notre société occidentale moderne. Les chinois ne furent pas pratiquants dans le sens où nous l’entendons (à l’exception des moines…et encore…). Pour la majeure partie, ceux-ci ne pratiquaient pas le bouddhisme et le taoïsme dans l‘espoir de devenir meilleur, de développer leur bonté ou d’accéder à l’éveille de l’esprit. Tel que je le présentais plus haut, ils suivaient majoritairement la religion populaire et leurs croyances locales par habitude et par foi mystique. Des rituels d’exorcisme et d’appels d’esprits par la prière étaient légion dans les temples (nous y reviendrons) et ceux-ci n’avaient également pas pour objectif l’accès à l’illumination ou l’élévation de l’esprit dans le sens noble du terme ; il s’agissait souvent simplement de croyance en des dieux divers capables de les supporter. Il existe en chine des dieux pour tous sujets, types d’occupations et d’activités journalières. La vie des chinois était entièrement baignée dans le mystique, c’était un trait culturel et la majorité des chinois s’y soumettaient, artiste martial ou pas.

L’art militaire fut également composé de rituels magiques et de charme, de prière avant de partir en guerre. Il existait donc ici encore une foi en des dieux pouvant les assister/protéger, mais il n’était ici une nouvelle fois pas encore question de les rendre meilleurs. Ces pratiques “spirituelles“ avaient pour objectif de leur apporter force et détermination dans l’action.


L’art martial devenu véhicule de développement personnel

En quoi l’art martial peut être un véhicule de développement personnel ?

En mon sens, par le culte facilement reconnaissable l’entourant. Par l’addition de la méditation, de la philosophie de Confucius et ses principes moralisateurs (devenus le Wude , la vertu martiale), du Nei Gong (travail du souffle), qui ramène au calme après la tempête, par le culte des ancêtres qui enseigne le respect, mais aussi par l’exigence, l’abnégation, la constance, la concentration et la volonté que requière l’entrainement pour être sérieusement efficace et acquérir la confiance en soi. Frapper ses mains contre des pierres, répéter inlassablement des mouvements visant à détruire un adversaire ne peut être salvateur d’un point de vu de la spiritualité. Donc développement personnel oui, mais pas développement spirituel dans le sens d’une recherche de perfectionnement intérieur ou d’accès à l’invisible ; il me semble important de faire la distinction. Ce dernier ne peut venir que par le papier que nous avons placé autour du bonbon.

Cette idée de développement spirituel se faisant par la pratique religieuse et de méditation, et non la pratique martiale, semble se confirmer dans les paroles de moines éminents telles que celles prononcées par l’abbé de Shaolin par procuration, le vénérable Shi Suxi 释素喜 (1924-2006) avant sa mort : “Shaolin est le Chan, pas la boxe少林 不是 Shàolín shì Chán, bùshì Quán. Cette phrase renseigne sur le degré d’importance qu’il accordait à l’un comme à l’autre et sous-entend clairement le véhicule qui devait être utilisé pour atteindre un degré avancé de spiritualité. 

Maître Shi Suxi 

L’exception qui confirme la règle

Une exception pourtant pourrait enfreindre la règle, celle de l’instrumentalisation de la religion dans les sociétés secrètes tardives tel que la secte du “Lotus Blanc“, la secte des “8 Trigrammes“ ou encore pour les derniers, les “Poings de Justice et Concorde“ 义和团 connus pour leur fameuse “révolte des boxeurs” ayant pris part en juin 1900 à Pékin avec la prise des légations étrangères connu sous le nom des “55 jours de Pékin“.   

L’idéologie de ces différentes sectes fut généralement un mélange de diverses doctrines religieuses, métaphysiques ou philosophiques. L’art martial fut un outil dont elles se servirent pour atteindre leurs objectifs, mais leurs arts martiaux furent quelquefois emplis de croyances et pratiques magiques et chamaniques diverses. Les membres des “Poings de Justice et Concorde“ 义和团 furent par exemple adeptes du Shen Quan la “boxe des Esprits“ 神拳. Ces derniers s’administraient diverses drogues et psalmodiaient des incantations ou prièrent variées ; ils s’adonnaient donc à des pseudo-rites religieux. Une des méthodes consistait à griffonner des charmes sur des papiers rouges (Fulu 符籙), les bruler, en mélanger les cendres avec de l’eau et les ingurgiter. Ils se pensaient alors possédés de toutes sortent de divinités ou de personnages de romans semi-légendaires. Ainsi, les fameux Sun Wukong (le roi singe), Guan Yu (général et dieu des arts martiaux), Yue Fei (autre général fameux), Xuanwu (dieu martial taoïste des monts Wudang) etc… prenaient vie et étaient censés les investir de leurs pouvoirs pour leur apporter victoire et invincibilité… y comprit, au passage, contre les tirs de fusils des soldats étrangers. A ce sujet, un Chenyu (expression idiomatique en 4 caractères) sert à décrire une personne de caractère possédant une immense rigidité idéologique, tel ces fameux boxeurs…: “Epées et lances ne peuvent pénétrer“ Dao Qian Pu Ru 刀槍不入.

Bien que les cérémonies de possession par les esprits [Shen Gong 神功 ou Shen Da 神打]*3 soient très anciennes en chine (on parle déjà de shaman [Tongji 童乩] les exécutant dès les Han de L’Est 25-220), cette pratique de “Boxe des Esprits“ en tant que “art martial“ naquit au nord-ouest et fut rencontrés premièrement autour de 1896. Un moine bouddhiste du nom de Xin Cheng est considéré comme en étant le père. Un magistrat rapporta que Xin Cheng avait étudié la boxe Shaolin, et la lance fleurie. Ce dernier aurait ouvertement proclamé que son corps entier était renforcé de Qigong et que quand le Jingang (divinité bouddhique) le possédait, il était invulnérable aux balles et aux lames.


Shen Gong par un shaman à Taiwan 

Dans les débuts, ses créateurs passaient de village en village pour, grâce à leur pouvoir supposément acquis de leur pratique martial, soigner la population de diverses affections. Ils refusaient généralement rémunération, ce qui les rendit de fait très populaire. De cette manière, ces boxeurs recrutaient de nouveaux adeptes et officiaient généralement dans les temples.

Nous avions donc là un réel mélange de “pratiques religieuses“ ou plutôt ésotériques et d’art martiaux.


Conclusion

Donc, arts martiaux d’obédiences « religieuses » pas vraiment, mais des arts martiaux pratiqués par des religieux, certainement. L’iconographie religieuse est bien présente dans ceux-ci, l’influence de ses images est certaine et ancienne, mais c’est également et surtout le cas d’influences culturelles au sens large, les différents éléments la constituant étant passés de l’une à l’autre, ainsi, il ne peut être raisonnablement fait état de “styles religieux“.

Arts martiaux pratiqués pour le développement personnel ? Rarement dans le passé et majoritairement par des élites tout au moins jusqu’à l’ère républicaines et les grands maîtres divulgateurs. Bien que cette tendance fût tardive dans l’histoire de la chine, elle a bien existé et est devenue ce que l’on connaît aujourd’hui, et c’est une magnifique progression. La tradition ne l’oublions pas, n’est pas ce qui n’a jamais été transformé, mais bien ce qui fut transmis d’une génération à l’autre, avec toutes les influences et innovations qu’elle put subir.

Développement spirituel par la pratique de l’art martial ? Aucunement dans le sens d’un développement de la bonté, les us et coutumes pratiqués dans les arts martiaux chinois proviennent majoritairement des règles du confucianisme, le respect de la parole donnée, le respect des ancêtres, le bon comportement en société et le respect de la dignité d’autrui (la fameuse “face“ chinoise) et tout ceci n’a rien de religieux. Le développement spirituel des moines se fit semble t’il au moyen de leurs pratiques religieuses et non physiques.

La monde “spirituel“ en chine est quelque chose de mal comprit par le profane. Il n’était généralement pas question de bon ou de mauvais, mais souvent plus de créer un pont entre le monde des esprits et le monde des vivants par l’appel de déités ou la possession. Également, le Neidan fut avant tout une quête de longévité, mais comme ce “travail interne“ était également vu comme pouvant apporter des pouvoirs magiques transcendant le monde des humains (encore une fois de façon positive ou négative sans distinction). Comme il fut intégré dans l’art martial, le pratiquant occidental fit l’amalgame, se transportant dans l’imaginaire spirituel émanant des films….

Quant à la réalité pragmatique en liens avec ces pratiques hétérodoxes, je laisse chacun libre de son opinion.

Cela étant, est ce que ça empêche un pratiquant d’être “spirituel“ ? Aucunement, comme je le disais, chaque pratiquant est une entité à part entière et possède sa propre personnalité et ses propres intérêts, et comme il existe autant de type de maitres que de chinois en chine… il existe au même niveau possiblement autant de pratiquants n’en n’ayant pas l’intérêt que d‘autre pour qui la spiritualité est d’une importance majeure. Quoi qu’il en soit, je ne me soumets toujours pas à l’idée d’un arts martial « spirituel » par sa pratique physique, et si celui -ci peut sans nul doute nous rendre meilleurs c’est bien par l’enveloppe culturel qu’il revêt et non sa pratique de l’art de tuer autrui, car là fut son objectif d’origine.

Pour finir, rappelons-nous bien qu’il existe peut-être autant de façon d’appréhender l’art martial qu’il existe de pratiquant, mais ne nous laissons pas influencer par les lectures faciles et les films donnant une vision romantique de ce qu’ils purent être. L’examen de certains sujets traitant des arts martiaux doit être soumis à l’étude par les faits, tandis que d’autres sont sujet à interprétation ; même s’il est vrai que concernant l’étude de l’histoire, faits et interprétations sont une fois de plus intimement liés…


*1 J’ai rencontré personnellement à Hongkong des chefs de clans, d’écoles martiales (dont je tairais pour le moment les noms), ayant pignon sur rue, s’avérant être des hautes figures de la pègre locale. Enseignant le Kung-fu dans leur école dans l’après-midi et réglant leurs affaires à la nuit tombée. Les codes moraux étant très présents dans la pègre et étant finalement souvent assez similaires aux principes confucianistes, ils restent à géométrie variable selon la nécessité de la situation. 


*2 Ces processions sont encore aujourd’hui courante à Hong Kong, Taiwan ou Singapour. Lors d’un de mes voyages à Hongkong, alors que je résidais dans un bidon ville du quartier de Cha Kwo Ling situé au nord-est de la péninsule, j’ai pu assister à une de ces célébrations. Le bidonville placé en bord de mer est attenant d’un temple dédié à la déesse de la mer Tin Hau 天后, la mère protectrice des marins. Au mois de mai, tous les temples de Tin Hau fêtent l’anniversaire de la déesse. Le soir du réveillon, à la nuit tombée, l’association du quartier procède à la danse du Qilin, démarrant à l’entrée du village et passant par son cœur pour en ressortir à l’opposé, du côté du temple. Le lendemain, le jour de célébration, de nombreuses écoles de kung-fu tous styles confondus joignent l’événement. Un cortège est alors organisé par ces dernières le long du front de mer, dans lequel ses membres font danser leurs Lions, Dragons et Qilins accompagnés de chars arborant drapeaux d’écoles et armes traditionnelles. La procession termine au temple, devant lequel des démonstrations de kung-fu sont alors improvisées au milieu d’un cérémoniel de bénédictions des animaux mythiques et de leurs joueurs.


*3 Le Shen Gong 神功 est toujours pratiqué dans divers temples de Taiwan, Hong Kong ou à Singapour. Suite à certaines incantations l’aspirant entre en transe. 

L’ethnie Miao également exécute une cérémonie leur permettant de grimper pieds nues une échelle constituée de sabres [Shang Dao Shan] 上刀山.





A Hong Kong, j’ai moi-même visité à plusieurs reprises un temple continuant de procéder à ce genre de cérémonie. Le temple porte le nom de Tai Shing Miu 大聖 [Temple du Grand Sage] il se situe à Sau Mau Ping à l’est de Kowloon. La divinité vénérée est le fameux Roi Singe Sun Wukong 孙悟空 [également appelé “Grand Sage“]. Lors de festivités, le shaman revêt la robe de Sun Wukong et entre en possession par l’esprit de ce dernier. Il est aujourd’hui établi que les pratiquants arrivent à réussir ce type de prouesses grâce à l’effet de l’auto-persuasion et de l’autohypnose.

Pratiquant la boxe du singe de fer à l'ancien temple du Roi Singe

Pour l’histoire, le temple fut construit sauvagement sur son terrain d’origine. Le gouvernement fini par le reconstruire plus grand et plus beau à quelques centaines de mètres, mais des dires des gardiens, la bataille fut longue et le nouveau temple est aujourd’hui déserté par les fidèles, l’important pour eux fut, plus que les bâtiments, sa location initiale. J’ai eu le plaisir de visiter les deux à plusieurs reprises et je dois dire que je préférais également l’original, tant pour son point de vue sur la montagne que pour la structure rudimentaire de son bâtiment.

 

Sources :

Esherick The Origins of the Boxers Uprising

Kennedy-Guo Chinese Martial Arts Training Manual

Tory Elarson Tea Serpent

Journal of Asian Martial Art

David Ross Chinese Martial Art A historical Outline

Peter Lorge Chinese Martial Arts from antiquity to the twenty-first century