LAO SIU LEUNG PAK MEI KUNE

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mercredi 29 mars 2023

Billet d’humeur : Le sens de l’Étiquette

 

L'étiquette Li Yi


Voici un petit article que je projetais de rédiger il y a déjà un moment de cela.

Il m’arrive régulièrement de recevoir des messages personnels, emails, etc… de demandes d’enseignement, par cours zoom ou en présentiel. Ces demandent m’arrivent du monde entier, détails qui, vous le verrez par la suite, a son importance. Force est de constater que nombre de ces messages manquent cruellement de formule de politesse, de vouvoiement et de respect ; en un mot : d’étiquette.

Je constate tristement que ces manques sont majoritairement français. Je n’imagine pas que le français soit purement et simplement impoli, je crois qu’un souci plus profond, lié à sa culture (point de vue culturel bien français) tout autant qu’à son inculture (ignorance profonde des autres cultures), sous-tend cette problématique.

Ainsi, j’ai dernièrement reçu ceci : - Hello, tu enseignes le Pakmei online ?

Quelle n’est pas ma surprise (et accessoirement mon mécontentement) à la réception de ce type de message. Il est certain que chacun éprouve une sensibilité à des degrés divers, mais j’ose tout de même me questionner : à quel moment quelqu’un peut-il s’imaginer qu’un enseignant sérieux accéderait favorablement à sa requête sans la moindre lueur d’un début de formule de politesse ? Sans témoigner d’un minimum de respect? Ma réponse à ce genre d’incorrection est radicale, j’ignore irrémédiablement la demande.

La politesse est une valeur fondamentale, indispensable dirais-je même, de nos rapports sociaux, dont le respect en est un résultant. Sans politesse, il n’existe pas de respect, sans respect, chacun se comporte tel qu’il le souhaite et le plus fort s’impose de sa toute-puissance.

 Je constate également que les apprenants ne s’embarrassent que très peu de l’utilisation des titres*. Comme vous le savez tous, le terme consacré à un enseignant d’un art martial quelconque est maitre, sous sa forme francisée, ou sous sa forme sinisée 师傅 (Shifu en mandarin, Sifu en cantonais). J’imagine que bon nombre doivent trouver le titre quelque peu ronflant, pourtant, lorsqu’il s’agit d’un avocat, nous nous adressons à lui par cette dénomination. De même, lorsque nous interpellons un docteur, nous le nommons par ce dernier intitulé ; les exemples sont pléthores.

Dans sa version méliorative du sujet des arts, le terme de maitre et celui d’une personne possédant la maitrise. Celle-ci s’acquiert par de nombreuses années d’étude, puis par le développement personnel de la discipline étudiée pour enfin être en mesure à son tour, de la transmettre. Cette expertise demande du temps, du travail, de la pédagogie et quelquefois même, du talent. À l’ère de la mode du contenu superficiel Insta, Facebook et autres Tiktok, qu’en reste-t-il une fois les smartphones et tablettes éteints ? La connaissance du patrimoine immatériel est un sujet sérieux et profond qui ne devrait pas être sous-évalué. Reconsidérons la place que les garants de ce savoir devraient occuper.

Ce manquement aux valeurs de respect est alors lié, je pense, à l’inculture du français qui y voit, à travers le spectre de sa propre culture, une image péjorative et erronée d’un maitre spirituel omnipotent imposant sa dominance et ayant une emprise sur ses élèves tel le maitre sur son chien. La faute revient également possiblement aux nombreux pseudos gourou ayant galvaudé le terme et abusant de la crédulité de leurs élèves. Une possible seconde raison de cette perte de bienséance pourrait résider en ce que la société française et ses valeurs - liberté-égalité-fraternité - placent les individus sur le même niveau. Encore, la séparation de l’état et de la religion et l’idée sous-jacente de la formulation « ni dieu ni maitre » peuvent pareillement avoir une certaine incidence. Je ne remets bien entendu pas en question le bienfondé de nos valeurs, mais dans certains esprits simplistes, celles-ci resonnent sans la moindre nuance. Ainsi, n’en déplaise à certains, l’acte d’enseignement implique résolument, par la hiérarchisation, un rapport de subordonné : celui d’un étudiant venant solliciter un enseignement auprès d’un sachant.

Me concernant, lorsque j’entre en contact avec un maitre (ou me rends directement à son école ou son domicile), je fais automatiquement preuve d’une grande politesse et d’un tout aussi grand respect. Je me place avec modestie en tant qu’élève. Je ne cherche pas à lui faire ressentir dans nos échanges mes connaissances, une potentielle égalité ou supériorité. Bien au contraire, j’essaie ici encore respectueusement de ne pas le froisser et tente d’absorber son savoir de la façon la plus juste et courtoise possible. Cela se nomme l’étiquette . L’étiquette, que nous pourrions aussi nommer la bienséance, est l’une des normes morales de la société humaine qui agit dans le but de promouvoir l’harmonie interpersonnelle. En d’autres termes, c’est une sorte de pont permettant de créer l’harmonie avec autrui. Elle marque et souligne l’état civilisé d’une société et reflète même quelquefois la perspective spirituelle de son peuple. L’étiquette est de fait, d’une importance fondamentale dans la communauté du Wulin 武林 (textuellement « forêt martiale », la communauté des pratiquants) et s’inscrit dans les notions de vertus martiales, les Wude 武德. Sans le respect de l’étiquète, croyez bien qu’il me serait impossible de tisser des liens, gagner la confiance et la considération d’un maitre et bien entendu, de bénéficier d’un enseignement sérieux.

L’étiquette ne devrait donc pas être perçue comme une vieillerie barbante surannée, mais devrait plutôt être perçue comme un véhicule et le garant de valeurs œuvrant à la conservation de rapports sociaux cordiaux. Ceci dit, ne vous méprenez pas, je n’ai, en tant qu’enseignant, guère besoin de dizaines de Salam Aleykoum de la part d’apprenants. Néanmoins, au même titre que je le fais moi-même lorsque je voyage dans des contrées reculées pour solliciter des enseignements, j’attends un témoignage de respect minimum qui traduit, en mon sens, un réel désir d’accéder à l’enseignement et donc, un plausible sérieux dans le processus d’apprentissage à venir.

Si ce petit texte résonne en vous positivement ou coule de source, c’est que vous êtes sur la bonne voie, autrement, je crois qu’il serait bon de revenir aux valeurs fondamentales.

Vous souhaitant une bonne pratique.

 

*Ceci étant, je tiens à préciser que lors d’échanges avec certains de mes pairs (je les salue) l’étiquette est généralement plus présente que lors de sollicitations d’enseignements provenant d’étudiants.