LAO SIU LEUNG PAK MEI KUNE

LAO SIU LEUNG PAK MEI KUNE

samedi 13 février 2021

Arts martiaux chinois Développement personnel-philosophique-spirituel Influence culturelle et religieuse

 

 

Il m’a été demandé par message privée la relation entre les diverses doctrines et la pratique martiale (je te remercie au passage pour ta question, ces dernières engendrent toujours des réflexions). Comment les diverses religions ont pu influencer les arts martiaux chinois dans leur construction technique ? Dans la question initiale figurait également la question suivante : est-ce que la doctrine (comprendre la philosophie et/ou la spiritualité) fut un rajout idéologique tel un vernis posé sur un objet ayant pour objectif de le rendre plus beau ? Ou existait-elle dès son origine ? Ici, deux questions s’entremêlent.

Est-ce que comme mon contact, vous êtes-vous déjà vous-même profondément questionnés sur la provenance de cette “philosophie“ tellement mise en avant et inlassablement répétée comme étant intrinsèquement liée à nos arts ? Vous êtes-vous déjà fait votre propre réflexion sur la légitimité de ces dires, en dehors du fait que cette idée soit communément établie et admise “parce que tout le monde le dit“ ? Cette philosophie des arts martiaux est-elle en relation directe à votre pratique physique de ceux-ci ? Et finalement, l’art martial peut-il être un véhicule de développement spirituel ?

Ces diverses interrogations créées des réflexions conduisant à tout autant de nouvelles questions dont certaines pourront être résolus par l’examen des faits historiques, tandis que d’autres ne pourront être abordées qu’au travers du point de vue que chacun porte sur l’art martial, en relation à nos différents degrés de compréhension, chacun en ayant sa propre perception. Le terme “spiritualité“ est également à définir, ce terme est un peu un “range tout“ qui demande à s’accorder sur le sens que l’on veut lui donner dans notre sujet.

Certaines réponses sont donc soumises à l’appréciation de chacun et j’apporterai mes réponses en fonction de mes propres convictions, tandis que pour d’autres, je répondrai de façon factuelle en fonction des cartes que j’ai aujourd’hui en main.

Également, comme d’habitude, ces réponses n’ont pas qu’une seule facette, c’est souvent le cas dans les questions traitant des arts martiaux chinois et leur histoire, ainsi, répondre de façon catégorique n’est pas toujours possible. Ceux-ci sont tellement complexes et multiples que les réponses se trouvent souvent être tout aussi complexes et multiples. Leur pratique et mode de pensé est si diversifié que l’on rencontre très paradoxalement tout et son inverse. En réalité, nous pouvions dans le passé rencontrer autant de manière d’appréhender l’art martial qu’il y a de chinois en chine, ainsi, il n’y a pas une seule norme, mais bien une foultitude de normes.

Comme j’avais déjà produit un écrit décrivant historiquement le développement conjoint du Wen [le littéraire] et du Wu [le martial], que j’avais traité sous l’angle du développement culturel sans n’être réellement rentré dans le sujet des religions, de leurs apports et de la spiritualité (voir l’article “le Wen et le Wu troisième partie“) ; je vais ici tenter de répondre à ces diverses questions en me focalisant majoritairement sur le plan de l’influence des religions.

Pour maintenant tenter d’apporter une réponse à la question initiale simplement, je dirai rajout idéologique tardif indéniable, mais également influence précoce certaine, et ceci n’a rien de paradoxale.

Avant de commencer il faut bien comprendre que l’art martial fut originellement développé exclusivement pour le combat, la défense des siens et de ses biens tout autant que pour l’agression et la prise de pouvoir et de terres sans distinction.  Son but premier est de réussir à sortir victorieux d’un conflit, juste ou injuste ; nous sommes ici loin de la pratique altruiste et bienfaisante religieuse que nombre s’imagine comme étant une norme. D’ailleurs sur ce sujet n’en doutons pas, les religieux prirent également les armes exactement de la même façon que les despotes, à savoir pour satisfaire leurs souhaits politiques ou leurs intérêts. En somme des hommes violents qui faisaient usage de la violence pour des considérations toutes personnelles.

Ceci énoncé, il est également réel qu’au fil du temps l’objectif de l’art martial se transforma, se dirigeant peu à peu vers quelque chose de bien plus positif et moralisateur, voir pour certains, salvateur.

Commençons…

 

Distinction de la culture et de la religion

La culture chinoise fut entièrement liée à ses arts martiaux, et c’est, en mon sens, ce qu’ils recèlent de plus captivant. Les diverses générations de maîtres intégrèrent dans leur pratique des noms et des images puisés dans leur quotidien et par extension, dans la culture ancienne ; leur quotidien en étant intrinsèquement composé. Cette même culture est constituée de divers apports provenant de l’histoire, des coutumes folkloriques (quelquefois locales), mais aussi des religions et écoles de pensées ayant fleuries ou ayant été développées sur le sol chinois.

Ainsi les images de personnages existant, de déités récupérées dans les diverses littératures, des relations à la métaphysique ou les symboles religieux apparaissent fréquemment dans nos arts, et ce, quel que soit leurs origines. Le néophyte ne comprenant pas profondément la culture chinoise et son histoire, confondra souvent ce qui résulte du culturel et ce qui provient du religieux, même s’il est vrai que les deux soient quelquefois intimement liés.

De fait, l’amalgame s’installe et c’est la raison de la croyance en des arts martiaux “religieux“.

Par exemple, les constituants métaphysiques que l’on attribue au taoïsme ne sont pas tous, toujours taoïstes d’origine. Les principes Yin-Yang, les Bagua 八卦 [8 Trigrammes], que ceux-ci ont repris et chérissent, proviennes de diverses sectes et écoles de pensés et ne furent assimilés dans le taoïsme que lors de l’harmonisation du taoïsme religieux effectués au premier siècle. Ces théories sont en réalité bien plus anciennes et font aujourd’hui partie intégrante de la culture chinoise au sens large. L’iconographie Bouddhiste également s’est répandue à toute la culture chinoise, certains dieux étant passés d’une religion à l’autre et ayant été assimilés dans diverses obédiences. De la même manière, des déités provenant du folklore local y furent intégrées. Le Confucianisme influença également à son tour grandement le Bouddhisme et de façon mineur, le Taoïsme. Pour cette raison, les gens ne font généralement pas bien la distinction quant à l’origine et l’appartenance de chaque élément. Le Bagua par exemple, considéré comme étant Taoïste, provient du Yijing 易經 [Livre des Transformations] dont l’auteur (ou les auteurs) est inconnu. Les commentaires sont attribués à Confucius (ce qui reste encore à prouver). De fait, il est le premier des “5 Livres Classiques“ confucéens. Les Taoïstes ne se le sont réattribué (ainsi que le symbole du Bagua présent sur leur robe, charmes, amulettes et temples) que plus tard.


Les 64 hexagrammes du Yijing 

La culture chinoise est donc constituée de ce tout et dès lors en chine, les gens se réclament de confession bouddhiste ou Taoïste alors qu’ils suivent en grande majorité la « religion populaire » qui est en réalité, avec le confucianisme, un mixe des trois. Il existe d’ailleurs en chine de nombreux temples rassemblant le culte des trois doctrines.

 

Arts martiaux religieux ?

De cette manière, les arts martiaux intègrent des éléments de ces trois religions/philosophies sans véritable distinction. Ces éléments se retrouvent dans les noms des styles, où sont attribués aux techniques des formes. Quelques fois des bribes se retrouvent également dans les principes théoriques les constituants, mais de façon très limitée et généralement les mêmes sont employés. Par exemple, le Yin-Yang est facilement transposable à n’importe quoi, les 5 Eléments ou le Bagua également, mais que peut-on transposer des principes intrinsèquement bouddhistes ? Que peut-on appliquer techniquement des principes de – l’arrêt de la souffrance – la loi de l’impermanence – du détachement des possessions – et bien sur le plus important, le refus d’utilisation de la violence et l’interdiction de tuer tout être vivant… qui leur sont si chers ? Au même titre, que peut-on transposer de l’Islam aux boxes dites musulmanes ? Que peut-on appliquer de l’amour inconditionnel d’un dieu unique ?

Dans le langage commun, nous attribuons alors des arts martiaux aux diverses religions, désignant de “boxes bouddhistes“ ou “boxes Taoïstes“, les arts martiaux pratiqués par ceux-ci. Je fais également souvent ce péché de simplification.

Il n’existe donc pas de boxes Bouddhistes, de boxes Taoïstes ou de boxes musulmanes, mais plutôt, des boxes pratiquées par des « Taoïstes » d’autres par des « Bouddhistes » ou encore par des « Musulmans » ; et dans notre compréhension des arts martiaux cette distinction à son importance. En réalité, la pratique martiale n’a pas de religion et, pour paraphraser Kennedy “je soupçonne fortement que si nous avions demandés à des Taoïstes si leur art l’était lui-même (et identiquement aux bouddhistes ou musulmans), il est probable qu’ils n’aient pas comprit la question et nous aient répondu que la boxe c’est la boxe ; la religion, c’est la religion“.

Evidemment, si une boxe est développée par des religieux elle comportera forcément des références à sa religion. En premier lieux parce que c’est ce qu’ils connaissent, en second parce que c’est ce avec quoi ils auront le plus d’affinité. De cette manière un fervent bouddhiste aura plus tendance à se diriger vers un art martial comportant des noms de techniques faisant référence à l’iconographie bouddhique, mais pouvons-nous pour autant considérer une boxe comme étant bouddhiste par l’iconographie qu’elle utilise ?

Je ne le pense pas, car ce lien n’est présent que dans l’imagerie et certainement pas dans les principes doctrinaires la constituant.  


Transformation progressive de l’art martial

Les moines en effet pratiquèrent également l’art martial (un faible pourcentage mais qui varia selon les époques), mais celle-ci fut initialement militaire (voir l’article les “Seng Bing“). De pratique de champs de bataille, les moines finirent par jouer de l’art martial dans leur temps libre simplement par goût personnel, pour le loisir, pour se maintenir en forme et non plus pour défendre le pays comme ce fut le cas originellement. Tardivement, certains y virent un lien avec un possible développement personnel/spirituel par l’ajout de Nei Gong 内功 ou Nei Dan 内丹 (importé du taoïsme) qui furent des exercices respiratoires de santé. Mais attention, de façon générale les pratiques “d’Alchimie Interne“ étaient considérées dans la chine ancienne comme ayant la faculté d’apporter des pouvoirs surhumains, l’immortalité du corps ou de l’esprit, mais pas nécessairement de devenir quelqu’un de meilleur. Quoi qu’il en soit, cette transformation naquit probablement dans le milieu religieux et fut adoptée et décrite par les maitres érudits de la haute société vers le milieu de la dynastie Ming (1368-1644).  

Cartographie Interne liée au Neidan selon les Taoïstes

Le monde intérieur représenté autrement


Pour le reste, les artistes martiaux (et grand nombre de ces moines de mauvaise réputation) étaient certainement plus des “Jianghu“ 江湖, les fameux “Rivières et Lacs“, bandits de grand chemin si chers aux romans populaires tel le fameux classique “Au Bord de l’Eau“ 水滸傳. Cette littérature abondante nous renseigne en effet sur ce que nous pouvions majoritairement trouver dans les périodes de ces écrits. Des hommes violents qui faisaient usage de la violence sans une quelconque recherche philosophique, l’utilisation de la violence étant une réponse acceptable aux problèmes de leur époque.

Nombre de biographie de ces “maîtres“ du passé les présente comme des fugitifs recherchés pour des homicides divers, ou comme des rebelles sans foi ni loi autre que la leur. D’ailleurs, même dans les cas ou des figures martiales importantes prônaient des valeurs de moralité, nous pouvons observer en étudiant leurs vies que nombre de ces préceptes n’étaient pas respectés par ceux-là même les divulguant*1. Les témoignages ne manquent pas sur le sujet, mais c’est également vrai dans l’autre sens… En effet, comme une pièce à toujours deux faces, il existait également plus tardivement des hommes pour lesquels la morale et le combat allaient de pair. Des maîtres de l’ère républicaine tels que le très fameux Sun Lutang 孫祿堂((1860-1933) expert de Taiji-Bagua-Xingyi) ou encore l’escrimeur émérite le général Li Jinglin 李景林 (1885–1931), firent un grand travail théorique d’assimilation de l’art martial avec des principes métaphysiques et couplèrent cela au développement personnel. Parallèlement, des maîtres comme Tang Hao 唐豪 (1897-1959) développèrent une idée plus moderne des arts martiaux, réexpliquant ceux-ci, les dépoussiérant de toutes les croyances ésotériques considérées comme étant une des sources majeures des problèmes dont souffrait la chine et comme étant une preuve de leur société arriérée. Leurs écrits influencèrent toute la société martiale de leur époque et continue de le faire de nos jours.

Maitre Sun Lutang en 1930

Comme je le disais plus haut, cette tendance existait déjà par le passé mais n’était étudiée et valorisée que par les élites érudites et se développèrent surtout une fois que les armes à feu firent leur apparition. Il fallait bien redonner un sens à la pratique martiale devenu dès lors obsolète. Comme ce fut ces élites qui écrivirent sur les arts martiaux, et non les pratiquants lambdas illettrés qui étaient infiniment plus communs, tout le monde pensa que le but des arts martiaux fut, depuis leur origine, le développement personnel.  

 

Pourquoi l’art martial semble-t-il alors si souvent assimilé à la religion ou à ses moines ?

La mythologie s’est emparée de l’histoire. Par exemple, dans le Fujian, diverses déités locales sont considérées comme étant les créateurs/créatrices de nombreuses boxes. Au même titre, le bâton de Shaolin a pour origine mystique la divinité Jin Naluo 紧那罗. Également, certains styles ont carrément pris pour noms Fo Quan [boxe bouddhiste] en mandarin ou Fat Gar Kuen 佛家拳 [famille bouddhiste] en cantonais. Le Taiji Quan lui-même fut associé (à tort) à l’ermite Taoïste devenu immortel, Zhang Sanfeng 张三丰. Les boxes des “disciples du bouddha“ 罗汉 [Lohan Quan] ne se comptent plus, tout autant que les récits de moines itinérants redressant les bandits et prêts à sauver la veuve et l’orphelin.

Jin Naluo créateur légendaire du batôn de Shaolin

Il faut également savoir qu’en dehors de la pratique même des moines, les temples furent des lieux privilégiés d’enseignement et de démonstration. Les maîtres locaux utilisaient souvent les lieux pour dispenser leurs enseignements (c’est encore aujourd’hui le cas). Également, comme l’art martial faisait partie de la vie de la communauté, ils étaient démontrés lors de festivals se tenant généralement dans ces mêmes temples*2. Les artistes martiaux s’adonnaient donc à certains rituels et prenaient couramment part à des processions…

Pratiquant le bâton lors d'un festival religieux en l'honneur de Tin Hau, déesse de la mer. Hongkong 2011

Un excellent exemple de cette tendance se trouve dans l’histoire du développement de la secte Tian Di Hui 天地会 [Société du Ciel et de la Terre] qui prit pour habitude d’utiliser les temples pour la formation de leurs rebelles/combattants au milieu de la dynastie Qing (1644-1912). Les créateurs de la Tian Di Hui furent des moines, de diverses obédiences, nous avions donc là des religieux acceptant d’utiliser les armes pour leur idéologie. Leur légende très connue du grand publique par le biais des Wuxia 武侠 (romans martiaux) contant leurs exploits contribua à la popularisation de l’idée.


L’art martial développement personnel ou développement spirituel ?

Pour commencer il faut arriver à s’accorder sur le sens que l’on donne à l’un et à l’autre. Le développement personnel dans le sens où je l’entends (ceci est très personnel et argumentable) est la recherche d’équilibre entre le physique et le mental, le juste milieu apportant l’équilibre d’un être. Cela peut se traduire par le dépassement de soi, de ses doutes, ses faiblesses, la recherche du bien-être dans la santé, l’aspiration à devenir quelqu’un de meilleurs… et cela passe par l’apprentissage de la rigueur, de la discipline et de la concentration.  

Quant au développement spirituel, c’est ce qui a affaire au divin, au monde de l’invisible, à la vie après la mort ou en toutes sortes de croyances occultes et ésotériques. L’accession à un certain état de conscience avancé ou de sagesse et cela passe par les prières, la méditation, la contemplation….

Le spirituel n’est pas uniquement destiné à être un véhicule pour devenir quelqu’un de meilleur, il s’agit certaines fois uniquement de se rapprocher des esprits et ceux-ci peuvent être malins. L’appel des démons par la prière ou les cérémonies font partie de l’équation.

Développement personnel et développement spirituel ne sont également pas toujours aisés à distinguer car quelquefois ces deux chemins peuvent se croiser.

Comme je le disais, il faut faire attention, et c’est ici que cela se complique, la “spiritualité“ en chine ne fut pas forcément synonyme de “recherche intérieur“ ayant pour but de devenir qu’un de meilleur. Pour bien comprendre, il faut replacer le rapport au divin, au religieux dans la chine ancienne, et ne pas l’aborder tel que nous le comprenons dans notre société occidentale moderne. Les chinois ne furent pas pratiquants dans le sens où nous l’entendons (à l’exception des moines…et encore…). Pour la majeure partie, ceux-ci ne pratiquaient pas le bouddhisme et le taoïsme dans l‘espoir de devenir meilleur, de développer leur bonté ou d’accéder à l’éveille de l’esprit. Tel que je le présentais plus haut, ils suivaient majoritairement la religion populaire et leurs croyances locales par habitude et par foi mystique. Des rituels d’exorcisme et d’appels d’esprits par la prière étaient légion dans les temples (nous y reviendrons) et ceux-ci n’avaient également pas pour objectif l’accès à l’illumination ou l’élévation de l’esprit dans le sens noble du terme ; il s’agissait souvent simplement de croyance en des dieux divers capables de les supporter. Il existe en chine des dieux pour tous sujets, types d’occupations et d’activités journalières. La vie des chinois était entièrement baignée dans le mystique, c’était un trait culturel et la majorité des chinois s’y soumettaient, artiste martial ou pas.

L’art militaire fut également composé de rituels magiques et de charme, de prière avant de partir en guerre. Il existait donc ici encore une foi en des dieux pouvant les assister/protéger, mais il n’était ici une nouvelle fois pas encore question de les rendre meilleurs. Ces pratiques “spirituelles“ avaient pour objectif de leur apporter force et détermination dans l’action.


L’art martial devenu véhicule de développement personnel

En quoi l’art martial peut être un véhicule de développement personnel ?

En mon sens, par le culte facilement reconnaissable l’entourant. Par l’addition de la méditation, de la philosophie de Confucius et ses principes moralisateurs (devenus le Wude , la vertu martiale), du Nei Gong (travail du souffle), qui ramène au calme après la tempête, par le culte des ancêtres qui enseigne le respect, mais aussi par l’exigence, l’abnégation, la constance, la concentration et la volonté que requière l’entrainement pour être sérieusement efficace et acquérir la confiance en soi. Frapper ses mains contre des pierres, répéter inlassablement des mouvements visant à détruire un adversaire ne peut être salvateur d’un point de vu de la spiritualité. Donc développement personnel oui, mais pas développement spirituel dans le sens d’une recherche de perfectionnement intérieur ou d’accès à l’invisible ; il me semble important de faire la distinction. Ce dernier ne peut venir que par le papier que nous avons placé autour du bonbon.

Cette idée de développement spirituel se faisant par la pratique religieuse et de méditation, et non la pratique martiale, semble se confirmer dans les paroles de moines éminents telles que celles prononcées par l’abbé de Shaolin par procuration, le vénérable Shi Suxi 释素喜 (1924-2006) avant sa mort : “Shaolin est le Chan, pas la boxe少林 不是 Shàolín shì Chán, bùshì Quán. Cette phrase renseigne sur le degré d’importance qu’il accordait à l’un comme à l’autre et sous-entend clairement le véhicule qui devait être utilisé pour atteindre un degré avancé de spiritualité. 

Maître Shi Suxi 

L’exception qui confirme la règle

Une exception pourtant pourrait enfreindre la règle, celle de l’instrumentalisation de la religion dans les sociétés secrètes tardives tel que la secte du “Lotus Blanc“, la secte des “8 Trigrammes“ ou encore pour les derniers, les “Poings de Justice et Concorde“ 义和团 connus pour leur fameuse “révolte des boxeurs” ayant pris part en juin 1900 à Pékin avec la prise des légations étrangères connu sous le nom des “55 jours de Pékin“.   

L’idéologie de ces différentes sectes fut généralement un mélange de diverses doctrines religieuses, métaphysiques ou philosophiques. L’art martial fut un outil dont elles se servirent pour atteindre leurs objectifs, mais leurs arts martiaux furent quelquefois emplis de croyances et pratiques magiques et chamaniques diverses. Les membres des “Poings de Justice et Concorde“ 义和团 furent par exemple adeptes du Shen Quan la “boxe des Esprits“ 神拳. Ces derniers s’administraient diverses drogues et psalmodiaient des incantations ou prièrent variées ; ils s’adonnaient donc à des pseudo-rites religieux. Une des méthodes consistait à griffonner des charmes sur des papiers rouges (Fulu 符籙), les bruler, en mélanger les cendres avec de l’eau et les ingurgiter. Ils se pensaient alors possédés de toutes sortent de divinités ou de personnages de romans semi-légendaires. Ainsi, les fameux Sun Wukong (le roi singe), Guan Yu (général et dieu des arts martiaux), Yue Fei (autre général fameux), Xuanwu (dieu martial taoïste des monts Wudang) etc… prenaient vie et étaient censés les investir de leurs pouvoirs pour leur apporter victoire et invincibilité… y comprit, au passage, contre les tirs de fusils des soldats étrangers. A ce sujet, un Chenyu (expression idiomatique en 4 caractères) sert à décrire une personne de caractère possédant une immense rigidité idéologique, tel ces fameux boxeurs…: “Epées et lances ne peuvent pénétrer“ Dao Qian Pu Ru 刀槍不入.

Bien que les cérémonies de possession par les esprits [Shen Gong 神功 ou Shen Da 神打]*3 soient très anciennes en chine (on parle déjà de shaman [Tongji 童乩] les exécutant dès les Han de L’Est 25-220), cette pratique de “Boxe des Esprits“ en tant que “art martial“ naquit au nord-ouest et fut rencontrés premièrement autour de 1896. Un moine bouddhiste du nom de Xin Cheng est considéré comme en étant le père. Un magistrat rapporta que Xin Cheng avait étudié la boxe Shaolin, et la lance fleurie. Ce dernier aurait ouvertement proclamé que son corps entier était renforcé de Qigong et que quand le Jingang (divinité bouddhique) le possédait, il était invulnérable aux balles et aux lames.


Shen Gong par un shaman à Taiwan 

Dans les débuts, ses créateurs passaient de village en village pour, grâce à leur pouvoir supposément acquis de leur pratique martial, soigner la population de diverses affections. Ils refusaient généralement rémunération, ce qui les rendit de fait très populaire. De cette manière, ces boxeurs recrutaient de nouveaux adeptes et officiaient généralement dans les temples.

Nous avions donc là un réel mélange de “pratiques religieuses“ ou plutôt ésotériques et d’art martiaux.


Conclusion

Donc, arts martiaux d’obédiences « religieuses » pas vraiment, mais des arts martiaux pratiqués par des religieux, certainement. L’iconographie religieuse est bien présente dans ceux-ci, l’influence de ses images est certaine et ancienne, mais c’est également et surtout le cas d’influences culturelles au sens large, les différents éléments la constituant étant passés de l’une à l’autre, ainsi, il ne peut être raisonnablement fait état de “styles religieux“.

Arts martiaux pratiqués pour le développement personnel ? Rarement dans le passé et majoritairement par des élites tout au moins jusqu’à l’ère républicaines et les grands maîtres divulgateurs. Bien que cette tendance fût tardive dans l’histoire de la chine, elle a bien existé et est devenue ce que l’on connaît aujourd’hui, et c’est une magnifique progression. La tradition ne l’oublions pas, n’est pas ce qui n’a jamais été transformé, mais bien ce qui fut transmis d’une génération à l’autre, avec toutes les influences et innovations qu’elle put subir.

Développement spirituel par la pratique de l’art martial ? Aucunement dans le sens d’un développement de la bonté, les us et coutumes pratiqués dans les arts martiaux chinois proviennent majoritairement des règles du confucianisme, le respect de la parole donnée, le respect des ancêtres, le bon comportement en société et le respect de la dignité d’autrui (la fameuse “face“ chinoise) et tout ceci n’a rien de religieux. Le développement spirituel des moines se fit semble t’il au moyen de leurs pratiques religieuses et non physiques.

La monde “spirituel“ en chine est quelque chose de mal comprit par le profane. Il n’était généralement pas question de bon ou de mauvais, mais souvent plus de créer un pont entre le monde des esprits et le monde des vivants par l’appel de déités ou la possession. Également, le Neidan fut avant tout une quête de longévité, mais comme ce “travail interne“ était également vu comme pouvant apporter des pouvoirs magiques transcendant le monde des humains (encore une fois de façon positive ou négative sans distinction). Comme il fut intégré dans l’art martial, le pratiquant occidental fit l’amalgame, se transportant dans l’imaginaire spirituel émanant des films….

Quant à la réalité pragmatique en liens avec ces pratiques hétérodoxes, je laisse chacun libre de son opinion.

Cela étant, est ce que ça empêche un pratiquant d’être “spirituel“ ? Aucunement, comme je le disais, chaque pratiquant est une entité à part entière et possède sa propre personnalité et ses propres intérêts, et comme il existe autant de type de maitres que de chinois en chine… il existe au même niveau possiblement autant de pratiquants n’en n’ayant pas l’intérêt que d‘autre pour qui la spiritualité est d’une importance majeure. Quoi qu’il en soit, je ne me soumets toujours pas à l’idée d’un arts martial « spirituel » par sa pratique physique, et si celui -ci peut sans nul doute nous rendre meilleurs c’est bien par l’enveloppe culturel qu’il revêt et non sa pratique de l’art de tuer autrui, car là fut son objectif d’origine.

Pour finir, rappelons-nous bien qu’il existe peut-être autant de façon d’appréhender l’art martial qu’il existe de pratiquant, mais ne nous laissons pas influencer par les lectures faciles et les films donnant une vision romantique de ce qu’ils purent être. L’examen de certains sujets traitant des arts martiaux doit être soumis à l’étude par les faits, tandis que d’autres sont sujet à interprétation ; même s’il est vrai que concernant l’étude de l’histoire, faits et interprétations sont une fois de plus intimement liés…


*1 J’ai rencontré personnellement à Hongkong des chefs de clans, d’écoles martiales (dont je tairais pour le moment les noms), ayant pignon sur rue, s’avérant être des hautes figures de la pègre locale. Enseignant le Kung-fu dans leur école dans l’après-midi et réglant leurs affaires à la nuit tombée. Les codes moraux étant très présents dans la pègre et étant finalement souvent assez similaires aux principes confucianistes, ils restent à géométrie variable selon la nécessité de la situation. 


*2 Ces processions sont encore aujourd’hui courante à Hong Kong, Taiwan ou Singapour. Lors d’un de mes voyages à Hongkong, alors que je résidais dans un bidon ville du quartier de Cha Kwo Ling situé au nord-est de la péninsule, j’ai pu assister à une de ces célébrations. Le bidonville placé en bord de mer est attenant d’un temple dédié à la déesse de la mer Tin Hau 天后, la mère protectrice des marins. Au mois de mai, tous les temples de Tin Hau fêtent l’anniversaire de la déesse. Le soir du réveillon, à la nuit tombée, l’association du quartier procède à la danse du Qilin, démarrant à l’entrée du village et passant par son cœur pour en ressortir à l’opposé, du côté du temple. Le lendemain, le jour de célébration, de nombreuses écoles de kung-fu tous styles confondus joignent l’événement. Un cortège est alors organisé par ces dernières le long du front de mer, dans lequel ses membres font danser leurs Lions, Dragons et Qilins accompagnés de chars arborant drapeaux d’écoles et armes traditionnelles. La procession termine au temple, devant lequel des démonstrations de kung-fu sont alors improvisées au milieu d’un cérémoniel de bénédictions des animaux mythiques et de leurs joueurs.


*3 Le Shen Gong 神功 est toujours pratiqué dans divers temples de Taiwan, Hong Kong ou à Singapour. Suite à certaines incantations l’aspirant entre en transe. 

L’ethnie Miao également exécute une cérémonie leur permettant de grimper pieds nues une échelle constituée de sabres [Shang Dao Shan] 上刀山.





A Hong Kong, j’ai moi-même visité à plusieurs reprises un temple continuant de procéder à ce genre de cérémonie. Le temple porte le nom de Tai Shing Miu 大聖 [Temple du Grand Sage] il se situe à Sau Mau Ping à l’est de Kowloon. La divinité vénérée est le fameux Roi Singe Sun Wukong 孙悟空 [également appelé “Grand Sage“]. Lors de festivités, le shaman revêt la robe de Sun Wukong et entre en possession par l’esprit de ce dernier. Il est aujourd’hui établi que les pratiquants arrivent à réussir ce type de prouesses grâce à l’effet de l’auto-persuasion et de l’autohypnose.

Pratiquant la boxe du singe de fer à l'ancien temple du Roi Singe

Pour l’histoire, le temple fut construit sauvagement sur son terrain d’origine. Le gouvernement fini par le reconstruire plus grand et plus beau à quelques centaines de mètres, mais des dires des gardiens, la bataille fut longue et le nouveau temple est aujourd’hui déserté par les fidèles, l’important pour eux fut, plus que les bâtiments, sa location initiale. J’ai eu le plaisir de visiter les deux à plusieurs reprises et je dois dire que je préférais également l’original, tant pour son point de vue sur la montagne que pour la structure rudimentaire de son bâtiment.

 

Sources :

Esherick The Origins of the Boxers Uprising

Kennedy-Guo Chinese Martial Arts Training Manual

Tory Elarson Tea Serpent

Journal of Asian Martial Art

David Ross Chinese Martial Art A historical Outline

Peter Lorge Chinese Martial Arts from antiquity to the twenty-first century