LAO SIU LEUNG PAK MEI KUNE

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mardi 24 juillet 2018

A la découverte des Seng Bing 僧兵 les Moines Guerriers Chinois partie 1


Peinture murale à Shaolin, province du Henan, montrant des moines à l'escrime aux armes

Ceux qui me connaissent savent combien il est important (et réjouissant il faut bien l’avouer) pour moi de debunker les mythes et légendes véhiculés dans les arts martiaux chinois. Comme une fois n’est pas coutume, voici (encore) un nouvel exercice du genre... Ah oui c’est vrai... finalement, ce n’est pas une fois, …c’est carrément coutume.

Avant de commencer, je voudrais porter à votre attention le fait que cet article m’a demandé énormément de temps, la lecture de plusieurs ouvrages et articles en langues étrangères, ainsi que des discussions avec des chercheurs très sérieux. Toutes les pistes mènent aux mêmes conclusions. Comprenez bien que mon but ici n’est aucunement de faire le procès du bouddhisme ou de Shaolin et de ses pratiques. L’objectif du projet est initialement de présenter les moines guerriers en tant que tels, comme ils l’étaient vraiment. Les investigations que je menais se succédant, revenaient inévitablement vers le monastère de Shaolin. J’ai donc décidé de vous présenter les moines guerriers en deux articles distincts. Le premier décrira ce qu’était un moine guerrier et expliquera dans quel univers sociétal il évoluait. Le second traitera spécifiquement du cas de Shaolin, en remettant les événements s’étant déroulés au temple durant toute son histoire. Nous parlerons bien entendu de ses moines, de leur comportement et de leurs pratiques au fil de leur histoire. Une chronologie extrêmement fournie, si ce n’est, quasi complète.

Commençons…

Les moines bouddhistes

L’image largement répandue des moines bouddhistes dans l’imagerie collective est une image de sagesse, d’altruisme, de renoncement et d’austérité. Cette image est-elle conforme à la réalité historique ? Etait-ce là, la seule et unique vérité du comportement des moines ?

Distinguons bien deux sortes de moines : les Moines Réguliers et les Moines Guerriers. Les premiers étant ceux ayant prononcé les vœux, ne vivant que dans l’amour de la foi et les seconds, ceux pratiquants toutes sortes de besognes militaires.

Les moines étaient-ils généralement éduqués, possédant des richesses ou bien étaient-ils plutôt des mendiants ayant besoin d’aumônes pour subvenir à leurs besoins ? Ici, deux mondes s’entrechoquent… Allons-y… !

La réponse est claire, les moines vivants dans les grands monastères placés sous protectorat de l’état étaient des hommes majoritairement éduqués, vivant quelquefois dans l’opulence  et étant de fait propriétaires terriens, employant (ou forçant selon les cas) les villageois à travailler sur leurs terres.

Les moines vivants dans de petites structures, étaient soit autonomes, soit sous patronage d’un plus grand monastère des environs. Ceux vivants dans de petits monastères étaient majoritairement moins éduqués et souvent, vivaient de façon plus austère.

Pour ce qui est des moines guerriers, patientez, j’y arrive.

La religion et la pratique

Il faut premièrement comprendre une chose essentielle. Les arts de la guerre et la religion ne sont pas liés ! Obtenir le salut par la pratique martiale est un concept construit tardivement dans la dynastie Ming (un article sera à venir sur le sujet, je ne le développerai pas ici), mais qui s’est ancré dans l’inconscient collectif par les films et lectures faciles. De la profusion de textes religieux  disponibles sur Shaolin (ou d’autres temples) sous la période Ming, aucune mention n’a jamais été faite, nulle part, d’une quelconque relation entre la pratique martiale et la recherche ou l’accès à l’illumination ou l’élévation spirituelle, JAMAIS !

La première des interdictions d’un moine est de tuer. Ce principe de non-violence  est appelé ahimsa, qui signifie littéralement « ne pas frapper ».  Cette règle s’applique aux  animaux, mais aussi et surtout aux êtres humains. Les textes originels indiens sont catégoriques à ce sujet. Les moines ont l’interdiction de transporter des armes, de jouer de la violence ou de rejoindre une armée.
Nous  constatons donc bien que la guerre, la violence et le fait de commettre des actes répréhensibles sont clairement des choses opposées aux concepts bouddhistes : or, la guerre (l’art martial), c’est tout cela.

Pourtant, sous les Tang, il existait des moines tantriques spécialistes de rites élaborés ayant pour but de fournir à l’armée gouvernementale une panoplie de dieux bouddhistes guerriers censés leur assurer la victoire.

Au Tibet, durant des centaines d'années, des sectes bouddhistes rivales se sont engagées dans de violents affrontements. En 1660, le 5e dalaï-lama était confronté à une rébellion dans la province de Tsang, la forteresse de la secte Kagyu rivale avec son haut lama connu sous le nom de Karmapa. Le 5ème Dalaï Lama a appelé à une répression sévère contre les rebelles, en ordonnant à l'armée mongole d'oblitérer les lignes mâles et femelles, ainsi que les progénitures, je cite : "comme des œufs cassés contre les rochers .... Bref, anéantissez toutes traces d'eux, même leurs noms. "

Ceci est ce que l’on nommera des « Violences Monastiques ».

Comment le clergé bouddhiste pouvait-il légitimer la violence monastique ?

Alors que le bouddhisme est célèbre à travers le monde  pour ses préceptes pacifiques, les moines de tous ordres ont appliqué ou cautionné la violence au gré des événements qu’ils ont dû traverser. Comment ont-ils pu légitimer cette violence ? Et bien les textes Pali, tirés du Theravada interdisent la violence à la sangha (la communauté monastique) mais ils laissent une fenêtre ouverte sur l’acceptation d’avoir recours à des guerriers, la violence faisant partie intégrante de ce monde. Une sorte de violence, pour combattre la violence et finalement si tuer une personne pouvait en sauver 500… une sorte de tuerie compatissante, c’est acceptable n’est ce pas ?

Certaines autres sectes bouddhiques ont remanié des textes, leur faisant plus ou moins dire ce qu’ils voulaient. De cette sorte, certains textes allouaient aux moines l’utilisation de la violence dans certains cas, soumis encore ici à l’appréciation des abbés.

Bien entendu tous les moines n’ont pas toujours cautionné les dérapages violents de leurs confrères, comme nous pouvons le constater dans le poème du moine bouddhiste intellectuel nommé Yuanxian ayant vécu au 16ème siècle titré « Lamentation des troupes monastiques ». Il y condamne les pratiques guerrières des moines soldats.   

Les raisons majeures de la pratique martiale

Concrètement, la pratique des arts martiaux à Shaolin, et d’ailleurs comme dans tout autre temple, relevait premièrement de leur sécurité contre les bandits ; deuxièmement de leur unique moyen de faire valoir leurs droits sur leurs terres et de rester hors des attaques de seigneurs ou petits gouvernementaux du coin ; troisièmement d’assister encore et toujours le gouvernement dans ses multiples batailles, leur assurant ainsi l’appui et la protection de ce dernier sur le long terme. C’était donc, en partie, à des fins politiques. Cette relation de patronage / protectorat de l’état était chose courante pour les temples fournissant du soldat. Ce lien avec le gouvernement leur permettait d’être exemptés de taxes et de bénéficier d’arrangements divers.

La relation entre la religion et la recherche de l’amélioration de soi n’ayant originellement pas de lien, il est par contre tout à fait plausible que certains des moines ordonnés aient eu une connaissance de pratiques martiales avant leur entrée dans les ordres. Si cela était le cas, la boxe était pratiquée durant leur temps libre et était pour ceux-ci d’affection purement personnelle. 

Les Seng Bing 僧兵 (Moines soldats) ou Wu Seng 武僧 (Moines Martiaux)


Alors ces « moines soldats », qui étaient-ils vraiment ? Ils étaient en réalité une force paramilitaire, une milice servant à protéger le temple. Pour devenir un Seng Bing ou Wu Seng (moine martial), l’aspirant devait faire les 5 vœux classiques qui font d’un civil un bouddhiste, et 5 autres vœux temporaires liés aux règles de vie de la communauté monastique. Les vœux classiques des moines réguliers allaient eux de 72 à 300 !  Les Seng Bing n’étaient pas éduqués dans les règles du bouddhisme. On peut en déduire qu’ils n’étaient donc  « moines » que d’apparence. Les règles monastiques imposaient à quiconque vivant dans le temple, de revêtir la robe de moine et de se raser la tête, les Seng Bing devaient donc se plier à cette règle très précise. Ils étaient donc considérés par la population vivant à l’extérieur au même titre que les moines réguliers et étaient généralement confondus. 

Leur rôle était donc celui d’être les défenseurs du temple, mais également de ses intérêts, enfin… c’était ce qu’ils étaient censés faire. Etant sous les ordres des moines réguliers, ils étaient supposés leur obéir, accomplir les basses besognes et le labeur physique. Or, de nombreux faits montrent que les moines guerriers s’avérèrent souvent incontrôlables, ne respectant les vœux que de façon superficielle, bravant sans arrêt les interdits, mangeant de la viande, buvant de l’alcool. Ils avaient également tendance à exacerber les conflits politiques à l’intérieur des monastères avec souvent à la clef, des morts et des temples brûlés. A l’extérieur, ne respectant pas plus leurs vœux, ils étaient connus pour utiliser la force quand bon leur semblait. Ils violaient les femmes des villages alentours, abusaient régulièrement des enfants (c’était malheureusement également le cas des moines réguliers, la pédérastie était une pratique courante dans les monastères), volaient, se saoulaient, se battaient…

Fondamentalement les Seng Bing étaient considérés comme la lie de la société monastique. Dans la littérature populaire on leur allouait les noms de Dian Seng (moines fous), Feng Heshang (mauvais moines), Yeheshang (moines sauvages) ou encore Jiurou Heshang (moine viande / vin). Cependant, fatalement utiles, le clergé bouddhiste cherchait dans les textes et doctrines de quoi justifier ces actes de violence en contradiction directe à leurs idéaux.

Les moines guerriers, en plus de protéger les temples et ses intérêts, faisaient aussi office de soldats rapportés, quand le gouvernement se trouvait à court d’hommes. En 1561, la gazette du Zhejiang (Zhejiang Tong Zhi) en atteste. Elle mentionne la contribution de « Moines Guerriers » dans la bataille de 1553 au Mont Zhe. Il n’est malheureusement pas stipulé de quel monastère ces moines provenaient.

Ici encore, leurs comportements laissaient à désirer, n’ayant comme garde fou que le commandement. Durant certaines campagnes, les moines de plusieurs monastères furent amenés à devoir collaborer ensembles. Là, également, ça ne se passait pas dans le meilleur des mondes ; ils avaient tendance à affronter d’autres groupes de moines soldats comme en atteste l’incident survenu entre un moine de Shaolin et plusieurs moines guerriers d’un temple de Hangzhou en 1553.

Les faits se sont produits durant la campagne anti-pirate japonaise (les Woku). Les moines de Shaolin prirent part à plusieurs batailles. La plus grande victoire fut celle ayant eu lieu le 31 juillet 1553. 120 moines guerriers prirent les armes pour repousser les pirates japonais. Les rangs étaient composés de moines guerriers de différents temples avec à leur tête, un moine de Shaolin. Ils disséminèrent des centaines de pirates et seulement 4 moines furent tués. 
Le moine Tianyuan fut choisi à la tête de l’expédition  suite à une querelle l’opposant à divers moines d’un temple de Hangzhou. Il a dit-on, vaincu 8 de ces moines en deux rounds, un à mains nues et un autre armé d’une barre de fer. Nous avons ici des moines faisant preuve de violence pour une quête de pouvoir, bien loin du détachement à l’égo auquel ils étaient censés aspirer…

Dans le cas des moines guerriers Tibétains, nous pouvons également constater ce trait de caractère. Ainsi, Melyvn C. Goldstein stipule dans son article « A Study of the Ldab Ldob » de 1964 ce qui suit :

« Plus important que le sport, les Ldab Ldobs aiment se battre, entre eux ou avec des profanes. Dans les monastères, les Ldab Ldobs ont une hiérarchie lâche qui est basée sur leur succès en tant que combattants. Un Ldab Ldob reconnu comme un grand combattant a atteint l'honneur le plus recherché qu'un Ldab Ldob peut acquérir. En fait, un Ldab Ldob qui ne se bat pas, ou ne peut pas gagner des combats, est un Ldab Ldob seulement vêtu de la robe. »

Il y indique aussi que ces moines guerriers sont pleinement conscients de leurs actions et de leur rôle inférieurs aux moines réguliers :

-         - Même si le Bouddha est apparu dans le ciel,
-          - nous ne saurions pas comment avoir la foi,
-          - Même si les intestins d'un être sensible étaient en train de tomber,
-          - nous ne saurions pas comment avoir de la compassion.
-          ...
-         -  (Nous Ldab Ldob) sont les murs extérieurs,
-          - (Les autres moines) sont les trésors intérieurs.

Khampas, moines bouddhistes guerriers Tibétains chargés de la protection des différents Dalai Lama depuis des siècles

Comme vous pouvez le constater, ils étaient souvent forts sympathiques et bien loin de la vision fantasmatique que le public a d’eux.

Toutefois, il semble qu’épisodiquement, des Seng Bing, au contact des religieux réguliers se soient totalement convertis et, ont fini par vivre une vie de moine classique.

Alors pourquoi avoir rejoint les « ordres » si c’était pour se comporter de la sorte ? 

Il faut pour répondre à cette question se repositionner dans le contexte social de l’époque. Comme je l’expliquais plus haut, les grands temples, à l’image de Shaolin n’étaient pas des entités perdues, subvenant par elles-mêmes à leurs besoins. Bien au contraire… Nous avions affaire à des institutions puissantes, possédant l’appui des autorités en place, tout comme le clergé catholique, riche et fort de l’appui gouvernemental. Lorsque vous visitez les temples chinois, vous pourrez, au même titre que les églises, voir la richesse et la somptuosité des lieux, des statuts de jade, d’éléments de tous types recouverts de feuilles d’or…

L’entrée dans les ordres n’était pas toujours l’amour de la religion, mais ce choix leur assurait le gîte et le couvert en des temps difficiles, de pauvreté de grande ampleur. 

Shaolin était il l’unique temple à posséder une milice armée ?

Shaolin est internationalement réputé pour ses fameux moines guerriers, mais vous êtes vous déjà posé la question de savoir si c’était l’unique monastère ayant abrité des moines guerriers ?

Eh bien la réponse est clairement non, et loin de là. Par le passé, de nombreux temples possédaient des forces armées. L’emploi de gardes était chose commune aussi bien dans les grandes que dans les petites structures. Dans un dictionnaire datant de 1869 écrit par Dr. F. Porter Smith (Missionaire Evengile Anglais du 19ème siècle basé à Hankou), il est rapporté sous l’entrée : « The art of self defense in china » que le temple de Shaolin est réputé pour les techniques de bâton, mais également que : un monastère à Huangpi compte une population de 400 moines et que, une centaine d’entre eux sont versés dans les arts militaires, l’escrime, la boxe et le Nu (arbalète) afin de défendre leurs terres. Au moins trois autres monastères sont connus pour avoir abrité des moines guerriers de haute qualité, il s’agit du temple du Mont Wutai dans le Shanxi, du temple du Mont Funian dans le Henan et le fameux Emei Shan bien connu des pratiquants de Pakmei.

Utilisation du bâton

La tradition orale fait état de l’utilisation unique du bâton par les moines bouddhistes en tant qu’arme de défense. Ce mythe trouverait sa légitimité dans le fait que les moines n’avaient pas le droit de tuer, le bâton de bois faisant donc parfaitement l’affaire. Or, comme je le mentionnais plus haut, les préceptes bouddhistes interdisant toute forme de violence, l’utilisation d’une arme, quelle qu’elle soit, devait être prohibée pour tout moine régulier. Les Seng Bing ayant également fait vœux de non violence (quel paradoxe), ne respectaient pas cette règle. Pourquoi le bâton est rentré dans la pensée commune comme étant l’arme de prédilection des moines ? Certainement car la pratique connue des moines de Shaolin comprenant majoritairement l’utilisation du bâton pour les nouvelles recrues au milieu de la dynastie Ming (1368-1644). Ils se devaient également de respecter la règle leur interdisant de faire couler le sang sur les territoires du temple. Les Seng Bing furent alors souvent décrits faisant leurs rondes autour du temple armés de bâtons.

 Donc finalement, quelles armes furent utilisées ? Et bien les armes classiques du panel des soldats. Aux abords du temple des bâtons, et sur les champs de batailles toutes les armes classiques du panel. Il est enregistré au sujet de Shaolin des pratiques à la lance crochet, tir à l’arc et même… la pratique du tir aux canons, donc, comme n’importe quel corps d’armée de la période.  Je souligne que dans le manuscrit de Cheng Zong Yu (premier écrivain sur les méthodes de combat du temple) datant du 17eme siècle, il est fait mention que le bâton pouvait être de bois, mais également de fer (comme vous le constaterez dans la seconde partie réservé à Shaolin)!

Pourquoi si peu de matériel à leur sujet ?

En réalité, les Seng Bing étant une honte pour tout monastère qui se respecte, peu de choses furent compilées à leur sujet ; leur comportement n’arrangeant pas l’image des temples et surtout, de la religion. Les quelques textes les décrivant proviennent majoritairement du gouvernement Qing (1644-1911), n’ayant à cette époque plus de lien militaire avec eux. L’état n’était désormais pas réticent pour un sou à décrire ce qu’il se passait, faits les aidant à discréditer les temples et ainsi réduire leur influence sur les campagnes environnantes. Quelques écritures existent également sur des complaintes de moines réguliers à l’égard de Seng Bing ; élégies portant entre autre sur le « vol » de leurs petits protégés sexuels… Dernièrement, si les moines réguliers n’eurent mentionnés les Seng Bing que dans peu de textes, c’est aussi certainement dû au fait que ces derniers ne prenaient pas part aux rituels et cérémonies, faisant d’eux un sujet totalement inintéressant.

Il est préférable pour les monastères de totalement transformer l’histoire en quelque chose arrangeant la cause bouddhiste. Du coté du gouvernement d’aujourd’hui, même constat, il est préférable de ne pas mentionner ce genre d’aversions quand vous tentez de faire la promotion de votre extraordinaire culture martiale au travers (par exemple) de Shaolin. Cela arrange en effet aujourd’hui encore, tout le monde.

Les moines mendiants

Alors que les monastères étaient de puissantes entités, peuplées de moines réguliers érudits, contrôlant au même titre que l’état les populations environnantes, ils étaient également des lieux de passages offrant gîtes et couverts aux voyageurs de tous horizons. Des foires étaient régulièrement organisées à leurs abords. Ces temples accueillaient ces visiteurs pour des haltes plus ou moins prolongées. Dans cette agitation, l’apparition d’une autre catégorie de moines fit son apparition ; il s’agit des moines mendiants. Ces personnages, dont le nombre s’accroit dès la dynastie Tang (618-907), ne disposent d’attitudes souvent guère meilleures que les Seng Bing. Ces moines sous-éduqués, n’ayant souvent pas fait leurs vœux, trainant leurs guêtres dans les tavernes et profitant de l’aumône furent portés à l’écran de bien des films des années 70-80 sous des traits très attachants de pratiquants d’arts martiaux, de conteurs de rue ou de diseurs de bonne aventure.

Ces moines errants / martiaux ne sont pas sortis de l’imagination de scénaristes. En effet, sous les Qing (1644-1911), de nombreux moines errants parcouraient la Chine, enseignant la boxe ci et là au gré de leurs rencontres, comme le relate le lettré Xu Chengling (1730-1803) dans son « Note du Pavillon Tingyu » (Tingyu Xuan Biji) comme suit :

Un homme nommé Wan Shuichang du Jiaxing est né avec d’excellentes capacités physiques. Il étudia la boxe avec le moine Shaolin Guyun et devient fameux dans les provinces du Jiangsu et du Zhejiang pour ses aptitudes martiales. Il se nommait lui-même « le seigneur de 10 000 hommes » Des centaines de personnes furent enseignées par celui-ci.

Ces voyageurs et leurs attitudes posaient problème. Pour palier à ce phénomène, l’état promulgua une loi imposant à chaque moine d’être dans l’obligation de posséder un certificat et d’être répertoriés. Malgré cette réforme, le phénomène continua et les monastères continuèrent d’accueillir, de nombreux « moines » mendiants (bandits recherchés, voleurs, truands…) ne se pliant pas à cette règle. Leur nombre dépassait grandement le nombre de moines enregistrés. 

On peut imaginer qu’il s’agissait pour certains d’entre eux d’anciens Seng Bing profitant du respect de la population vis-à-vis des moines réguliers.

L’exemple de Lu Da

Voici le féroce Lu Da! Bandit des Monts, des Rivières et des Lacs 

Ce phénomène devait être connu et suffisamment répandu à l’époque au point que de nombreux ouvrages (wuxia, littérature romantique classique martial) dépeignirent ce dernier type de moines errants dans leurs nouvelles. Le personnage le plus représentatif est certainement le moine Lu Da, figure emblématique, du roman « Shi Nan Hai » les 108 brigands de « Au bord de l’eau » datant de la dynastie Ming (1368-1644). Lu Da, rebaptisé Lu Zhi Shen « Sagesse Profonde » était un chef de garnison au caractère belliqueux connu de son état. Après avoir tué à mains nues un boucher retenant une jeune femme et son vieux père en otage, Lu Da a fui l’état et sa responsabilité, joignant non sans déconvenues le monastère du mont Wutai (Montagne ayant réellement abrité des communautés de moines guerriers). De son passage au temple, il dû prendre l’habit, faire les vœux et se raser la tête. Ne se sentant pas à sa place, il créa à de nombreuses reprises toutes sortes d’incidents, se comportant de façon horrible, ronflant durant les séances de méditations, se saoulant à l’intérieur aussi bien qu’à l’extérieur, s’échappant au village, se battant avec ses coreligionnaires, dévastant le temple… avant de se faire envoyer dans un autre temple de la province du Henan. Bien entendu, « Sagesse Profonde » avait le sens de la justice et il défendit encore à plusieurs reprises des opprimés.

Comme toute bonne histoire se termine par une fin heureuse, (en tout cas en ce qui le concerne dans ce roman) il finit par se convertir totalement, devint un moine régulier et trouva l’illumination du bouddha à la fin de sa vie.

Encore un personnage bien attachant n’est-il pas ?

Finalement, nous pouvons constater grâce aux nouvelles datant d’aussi loin que la dynastie Ming que ce type de personnages / problèmes étaient globalement bien connus de la population, et ce, depuis longtemps. Sinon, pourquoi les dépeindre si souvent ?

Aller.. encore un ptit coup de "Sagesse Profonde"


L’exemple de Jet Li dans le film « Le temple de Shaolin »

Nous avons un second excellent exemple de ces « moines sauvages », incarnés par Jet Li dans le film « Le Temple de Shaolin » sorti en 1982. Film qui, soit dit en passant, a relancé la mode Shaolin comme vous le verrez dans la seconde partie.

Ici, Jet Li et ses coreligionnaires s’autorisent à briser les règles quand bon leur semble, ils boivent du vin, consomment de la viande et ne montrent un intérêt quasi unique que dans la pratique martiale. Bien entendu, la violence et leur comportement déviant essaient de se justifier au long des péripéties rencontrées, mais leur volonté à lutter contre les tentations ne se fait pas féroce. Le film va même  tirer le trait jusqu’à l’instructeur de boxe des moinillons, acceptant finalement lui aussi dans une scène mythique une bouchée de viande de chien, avançant que « si bouddha est dans le cœur », ces actes n’ont pas vraiment d’importance. Nous pouvons également voir à la toute fin du film l’abbé en second du temple, crier à ses moinillons « tuez les, ils le méritent ! » lorsque les soldats ennemis envahissent le temple ; donnant l’ordre (justifié ou pas) d’utiliser la violence à son point le plus extrême.

Conclusion

Que ce soit en Chine, au Tibet ou au Japon, même combat. Faites vos propres recherches sur les moines guerriers, les Sohei, l’équivalant japonais des Seng Bing, ainsi que les Dob Dob pour l’équivalent tibétain et vous trouverez par vous-même maints et maints récits allant dans le sens de cet article. Des sinologues, historiens et universitaires de Cambridge, Tel Aviv… corroborent ce que j’avance.

Voici donc pour la première partie de la découverte des Seng Bing. La seconde partie, je le rappelle, sera extrêmement explicite, apportant des événements datés sur l’utilisation des moines de Shaolin au combat par les forces dynastiques, des témoignages écrits des comportements de ces mêmes moines, leurs diverses pratiques et les procédés auxquels ils pouvaient recourir.

Sources à la base de cet article ou lien pour aller plus loin :

En Français :
  • José Carmona : « De Shaolin à Wudang » 1999
  • Bernard Faure : « Bouddhisme et violence » 2009
  • Paul Démièville : « le Bouddhisme et la guerre » 1957
  • Shi  Nai’An : « Au Bord de L’eau » 1550


En Anglais :
  • Ben Judkins : « Chinese Martial Art Study »
  • Tory Ellarson : « Tea Serpent »
  • Meir Shahar : « Ming Period Evidence Of Shaolin Martial Practice» 2001
  • Meir Shahar : « The Shaolin Monastery History Religion and the Chinese Martial Arts » 2008
  • Peter A. Lorge : « Chinese Martial Arts » 2012          Stanley Henning : « Chinese Combative Tradition»
  • New York Time : Article du 11 septembre 1983
  • De Lu Zhouxiang : Politics and Identity in Chinese Martial Arts
  • Kai Filipiak : Civil-Military Relations in Chinese History: From Ancient China to the Communist   Takeover (Asian States and Empires)
  •  Melyvn C. Goldstein ‘A Study of the Ldab Ldob‘ Central Asiatic Journal 1964


En Chinois :
  •  Shi Deqian : The Encyclopedia of Shaolin Martial Arts (少林寺武術百科全書: shaolin si wushu baike quan shu, aka 少林武大全: shaolin wushu da quan),compilé par le moine Shi Deqian, au Temple de Shaolin 1995
  • Tang Hao 唐豪 :  Shàolín Wǔdāng kǎo 少林武當考 1930
  • Chéng Zōngyóu 程宗猷 : (c. 1621). Exposition of the Original Shaolin Staff Method 少林棍法闡宗 Shàolín Gùnfǎ Chǎnzōng (in Chinese)
  • Wu Shu : Record of Arms 17ème siècle



vendredi 1 juin 2018

5ème ouvrage de la collection sur les armes: Le sabre de Yan Qing

  J'ai l'immense plaisir de vous informer de la sortie de mon dernier ouvrage, "Le sabre de Yan Qing".

140 pages et 205 illustrations

   
Comme à l'habitude, forme et applications sont au menu, histoire de la forme présentée et de l'arme depuis ses origines.

Au sujet du titre:

Yan Qing, surnommé la "Jeune Hirondelle" est un des bandits du célèbre roman classique chinois, "Au Bord de L'Eau".

Spécificité de l'ouvrage, dû à l'immense histoire de l'arme, j'ai également présenté les différents styles de montures, décrit 15 sabres militaires et civiles en donnant les dates d'utilisation, leur formes, les différentes gardes existantes, pommeaux, types, cordages, fourreaux, etc...

Je présente dans l'ouvrage également 10 de mes sabres antiques avec leurs poids, mesures et âges. Une typologie complète comme jamais cela n'avait été fait auparavant en français. Les publications sur le sujet en anglais ne traitent à ma connaissance que des sabres militaires. J'ai réellement tenté de donner une vision du sabre chinois la plus large possible.

Ce fût un énorme travail de recherche, des années de passion, des mois d'écriture et là.. de longues semaines de patience dû à des problèmes techniques en rapport à la vectorisation de dessins. Finalement, nous sommes rendu!

Un grand merci à mes élèves David Griver  et Léa Michaud pour leur aide infini.


Je peux avancer sans aucun complexe que cet ouvrage restera une référence dans le monde des arts martiaux chinois français.


    



jeudi 15 mars 2018

Le bien fondé de la pratique des formes, les Tao Lu 套路

   
Tao Lu

                      L’étude des formes est une des partie intégrante de l’art martial ancien. Dans cette nouvelle ère, nous pouvons naturellement nous questionner sur leur bien fondé et sur leur réelle utilité.
La question n’est pas tant de savoir si vous aimez pratiquer les formes, mais plutôt de déterminer leur importance dans le développement de vos qualités de combattants.

Donc la pratique des formes est-elle un cérémonial suranné n’ayant finalement pas autant d’intérêt que ce que les écoles de Wushu lui attribuent de nos jours ?

Les Tao Lu, sont des enchaînements de mouvements, une sorte de code à suivre pour s’approprier un système de combat en suivant sa stratégie spécifique. Comme je l’ai déjà mentionné à diverses reprises, ces enchaînements sont le répertoire technique du système. Leur intérêt réside majoritairement dans l’apprentissage des techniques du système étudié.

Elles forment également le corps à adopter la structure adéquate. Chaque style est différent et ces différences sont le pilier même sur lequel les formes sont créées. Étant codifiées dans un système d’attaque et de défense prédéterminé, elles enseignent finalement aussi à réagir de façon spontanée, en réaction réflexe.


Les Tao Lu servent donc à :

- Apprendre les techniques du style,
- Former le corps,
- Développer la compréhension et surtout l’utilisation de la stratégie de combat,
- Développer les réactions instinctives.


Diverses écoles

Chaque école a développé des Tao Lu selon ses besoins. Prenant en compte les dangers auxquels les pratiquants devaient faire face, l’endroit dans lequel la boxe devait être utilisée mais également selon la vision de « l’efficacité » qu’avait leur créateur.  

Ainsi, le style Tsai Li Fo (Choy Lee Fut en cantonais) fut créé pour combattre des adversaires en nombre supérieur, la stratégie est basée sur des mouvements en balancier puissants.
Le style Xin Yi Quan est fondé majoritairement sur une force pénétrante directe et les formes sont linéaires.
Le Chuan Quan, la boxe des bateliers se pratique sur « l’emplacement ou un bœuf peut s’allonger » par manque de place sur les bateaux. Les positions sont basses afin d’assurer la stabilité du pratiquant dans les eaux mouvantes. 

Certains styles se pratiquent avec des formes courtes très explosives, tel le Baimei (Pakmei en cantonais). Certaines autres, très longues mais plus lentes, pratiquées plus basses pour développer l’enracinement des membres inférieurs comme le Hongjia (Hung Gar en cantonais). Encore d’autres, longues et rapides, pour développer le stamina tel le Tsai Li Fo (Choy Lee Fut en cantonais). 

Généralement, les déplacements se font, pour les boxes du nord, sur un axe linéaire alors que les systèmes du sud s’articulent autour d’un déplacement en croix.


Pourrons nous utiliser les enchaînements des formes textuellement, à l’identique des formes ?

Bien que ce ne soit pas impossible, la réponse correcte devrait être « difficilement ». Et ce, pour plusieurs raisons.

Le combat, c’est l’adaptation. L’adaptation au changement de situation, l’adaptation immédiate au changement de données. La forme est créée pour donner une réponse A à une attaque B. Si l’attaque arrive, tel que dans une situation donnée d’une de vos formes, il est possible que votre réponse soit immédiate et propre. 
Mais ce genre de configuration idéale ne se rencontre pas toujours. C’est ici que l’assimilation de nombreuses formes provenant D’UN MÊME SYSTÈME est importante.

En effet, il ne s’agit pas de collectionner juste pour le plaisir d’avoir une multitude de formes, mais bien d’amasser suffisamment d’enchaînements différents répondant à des situations et changements multiples.
Un trop grand nombre de forme est difficile à réellement maîtriser par manque de temps, un trop petit nombre ne donnera pas suffisamment de réponses. Ici, nous parlons bien de maîtrise (d’une forme), pas seulement d’apprentissage.

Je tiens d’ailleurs à rappeler que dans le passé, l’élève joignait la classe pour apprendre à se défendre, pas pour saisir l’intégralité du style. C’était suffisant pour une majorité. Le maître n’enseignait d’ailleurs souvent pas les mêmes formes en fonction de l’envie et surtout, de la morphologie de l’élève. Peu accédaient à l’ensemble des connaissances.


Un petit parallèle

Si je devais  faire un parallèle imagé pour décrire l’importance des formes, j’emploierais l’exemple de l’alphabet.

A la petite école, nous apprenons en premier lieu l’alphabet, puis, les syllabes, puis, viennent les mots. Avec ces mots arrivent les phrases. Au départ, nous ne créons pas, nous apprenons à nous servir de ce qui existe déjà. Par la suite, à force de lire, nous pouvons nous-mêmes créer, produire d’autres livres.  C’est un exercice simple, nous écrivons tous les jours, posons des mots les uns à la suite des autres sans cesse et ce, grâce aux bases que sont l’alphabet et la grammaire (les techniques des formes et la stratégie). Nous ne créons pas des mots (mouvements), mais nous créons de nouveaux textes (combos) suivants l’emplacement de ces mots.

Un système bien fondé doit contenir des formes combinant des défenses et des attaques  sous divers angles, des enchaînements créés à partir d’une frappe, se déroulant d’une certaine façon ; dans une autre forme, partant d’une frappe identique à la précédente, mais se déroulant différemment donnant ainsi diverses possibilités de réponse. Ces réponses doivent être infinies.


La séparation des mains

Doit ont pour autant s’y coller intrinsèquement ? 
Si les techniques du système sont contenues dans les formes, toutes les combinaisons possibles n’y sont pas. Nous abordons donc maintenant la pratique du Shou Fa (Sao Fat en cantonais), la loi des mains. Il est question maintenant de créer de nouveaux combos avec un partenaire, suivant la stratégie de combat et les règles que les formes nous ont inculquées.
 La création se fait donc de façon stratégique, nous n’enchaînons pas n’importe quoi avec n’importe quoi,  nous devons créer en suivant la grammaire, en toute logique.


Un code brouillé ?

Un certain nombre de pratiquants avancent que leur système fût créé dans un souci de protection des techniques. Les applications seraient donc bien cachées dans les enchaînements. Je ne pense personnellement pas que ce fut réellement le cas, et s’il en est, c’est complètement aberrant. 
Comme précité, la valeur première des enchaînements et d’inculquer à l’adepte à avoir des réponses réflexes lors d’une confrontation. Dans ce cas, le pratiquant s’entraînerait sans relâche à répéter des mouvements qu’il devrait finalement changer ou  adapter au moment de l’affrontement, sous stress, pour coller à la réaction de l’ennemi ? C’est anti-pédagogique, anti-pragmatique et totalement absurde d’un point de vue de la mécanique réflexe.
Je pense pour ma part que ce sont des systèmes mal créés et pour preuve, il résulte généralement de ces écoles une pratique de type Kick boxing en guise de combat ; l’impossibilité d’appliquer faisant état.

En bref, si le code est trop crypté, on finit par ne même plus savoir le lire.

La forme est donc l’essence du style, son alphabet, un bien nécessaire dans l’apprentissage de ce que l’on nomme « Arts Martiaux ».