LAO SIU LEUNG PAK MEI KUNE

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jeudi 3 juillet 2014

Arts anciens et musculation spécifique

Pratiquants de Suai Jiao posant à Tianjin début 1900


                Il est une idée préconçue très largement répandue chez les néophytes des arts martiaux (et souvent même chez les pratiquants), que la pratique de la musculation n'est pas nécessaire, voir, inappropriée à une bonne pratique martiale. Nous pouvons aussi entendre ici et là que le muscle ou la masse musculaire ralentit la vitesse d'exécution et diminue la souplesse...
Cela et vrai, mais faux à la fois, nous voici encore dans un nouveau paradoxe sur l'art antique du combat chinois...

La réalité n'est pas toujours celle que l'on s'imagine...
L’imaginaire populaire occidental visualise le maître de kung-fu comme étant souvent un vieil homme, tout petit, maigrelet et très sage.
Compte tenu de cette croyance très répandue, de nombreuses personnes pensent réellement pouvoir apprendre à se défendre de façon efficace en utilisant un minimum de techniques, de puissance et usant uniquement de la souplesse, utilisant la force adverse à son avantage... L'entraînement ne doit pas être trop difficile non plus... du kung-fu « fast food » en somme...

Alors, soyons sérieux deux minutes...
La condition physique telle qu'on la perçoit de nos jours (du cardio et une résistance dans la durée) n'est pas une chose obligatoire pour gagner un combat ou une agression de rue comme je l'ai déjà expliqué par le passé. Lors d’une confrontation de rue il faut être rapide et efficace, nous ne devons pas "lutter" durant 10 minutes.
En revanche, cela ne signifie pas qu’il ne faille pas être bien préparé et en ce sens j’entends préparé à recevoir les coups et à infliger des lésions sérieuses à l’opposant. Je vous assure qu'arrêter une frappe d'un agresseur déterminé demande du travail et pas uniquement en terme de reflexe, le bras doit être solide, dans sa structure et son muscle.

Depuis la nuit des temps

WukeDao aux dimensions démesurés dans une campagne chinoise
Comme je le rapportais dans un précédent article (confère : le Wen et le Wu « deuxième partie »), réussir les examens de Mandarins Militaires était certainement la façon la plus sûre d’atteindre un meilleur rang social dans la société féodale chinoise. L’examen, ayant lieu tous les 3 ans sous la supervision de l’empereur lui-même, était basé sur les connaissances intellectuelles des textes classiques anciens et stratégiques militaires tout autant que sur la pratique physique et les qualités athlétiques du prétendant officier.

Carte postale française, fin des années 1800, notez la légende en dessous du dessin

Parmi les tests physiques, se distinguaient de difficulté :

-Le tir à l’arc lourd (WukeGong)
Le poids de tirage le plus lourd de la partie tir à l’arc semble avoir été de 110 kg !

-La pratique de la hallebarde lourde (le WukeDao)
Différentes routines devaient être présentées. Cette arme n’était pas tranchante et entièrement réalisée en fer, y compris l'arbre. Les poids des trois types de wukedao décrits dans le Huangchao Liqi Tushi sont 120, 100 et 80 jin (60, 50 et 40 kilos respectivement).

-Le soulevé de poids impérial (WukeShi)
Le soulevé de poids consistait à décoller une pierre du sol à l’aide d’alcôves sur les parties latérales. Selon le Huangchao Liqi Tushi, ceux-ci viennent en trois poids différents: 300, 250 et 200 jin (150, 125 et 100 kilos respectivement).

A savoir que la valeur de poids en Jin, n’était pas égale à Pékin et dans les autres provinces (1 Jin est égale à 597g à Pékin alors qu’en même temps il n’est égal qu’à 585g en province). La valeur du Jin a aussi varié dans le temps, selon les époques.

*Crédit historique pour la partie militaire :
-Mon ami Peter Dekker, spécialiste de la dynastie Qing.                                                   Site web : http://www.mandarinmansion.com/welcome
                http://www.manchuarchery.org/
-Valeurs des Jin tirées de l’ouvrage : Pratique des examens militaires en Chine, par le P. Étienne Zi (Siu) (1851-1932)

Matériel de musculation traditionnel.



Représentation de deux officiers tentent de passer les examens militaires.

Nous pouvons aisément en déduire que les qualités physiques, en terme de développement de la force/musculation furent toujours un sujet de préoccupation dans la pratique martiale (soldats/militaires) et que les soldats apportaient à l’époque une grande attention à celle-ci.


Poids et altères d'examens militaire trouvé dans la demeure d'un descendant
de générale de la dynastie Ming dans la campagne de Yangshuo, Avril 2014.
 La pierre fait 180kg, les poids respectivement 18kg et 25kg


Moi tentant de soulever le poids de 180kg
de la manière ancienne


Ici, posant avec le maître des lieux, le descendant du Général.







Renforcement dans l’art martial antique
Si l'interrogation maintenant se porte sur la pratique antique et savoir si les écoles de kung-fu anciennes pratiquaient des exercices de musculation, la réponse est oui pour la plupart des styles.  
Des écoles réputées sont connues pour former des combattants robustes comme le style Choy lee fut, qui recrutaient en outre sur les marchés parmi les bouchers, poissonniers et autres rustres paysans aux métiers physiques.
Chaque école a développé des méthodes de musculation spécifique, en isométrie, avec partenaire ou bien lestés de poids et altères.

Posant avec une altère "cadenas", entrainement de rue
Quelques exemples de styles ayant basé une partie de leur stratégie sur la musculation:

- L’ethnie Hui et spécifiquement les pratiquants du style Liu He Quan (boxe des six coordinations) continuent de pratiquer des exercices avec des poids de pierre. Ces altères ont la forme de cadenas chinois traditionnels, tels que ceux fermant les malles et coffres par le passé. Leur spécialité reste aujourd’hui encore la pratique de la hallebarde lourde YanYue Dao, certainement descendant de la pratique des officiers aspirants lors des examens militaires.

- le Taiping Quan (portant le nom de la révolte de la secte des Taiping) dont les adeptes continuent également de pratiquer des formes d’hallebardes lourdes, contient 3 formes utilisant des poids différents :
Une de 18 Jin (9kg) pour la pratique de la technique, une de 58 Jin (16kg) pour la pratique régulière et une de 180 Jin (90 Kg) pour le développement de la puissance.

-Le style Hung Kuen pratique avec des anneaux de force placés sur les avants bras et exécutant leurs formes ainsi lestés. Ce travail de résistance a pour objectif de forger des épaules et bras forts.

-Le style Chow Gar pratique une foultitude d'exercices avec partenaire, travaillant pour la majeure partie en isométrie tels que le "chay sao" (exercices avec partenaire main contre main dessinant un carré où la force de poussée et de résistance est exercée à tour de rôle).

-Le Shuai Jiao (lutte chinoise) pratique avec des sortes d'altères de pierre des exercices codifiés de soulevé de terre ou balancement à l'aide de la taille en vue des projections spécifiques.

Ethnie Hui pratiquants de Liu He Quan posant avec les hallebardes et altères lourdes.














Exercices spécifiques pratiqués par mon école:

-Altères lancées en explosion :









-Pots remplis de graviers :









-Isométrie des frappes en œil de phénix :










La question se pose donc sur le travail de puissance/musculation
Tous ces exercices ont pour objectif de donner résistance aux muscles et tendons, mais aussi développer la puissance. Car avoir un corps musclé et tendu n'est en aucune manière opposé à un quelconque relâchement; nous pouvons très bien avoir à la fois le muscle solide mais relâché, être musclé et souple... Une bonne musculature aide à la tenue de corps tout en produisant une puissance supplémentaire. N'opposez pas relâchement et puissance, car dans de nombreux styles, la puissance vient du relâchement et de la contraction musculaire brève au moment de l'impact. Evidement, ce travail ne doit pas se faire sans une bonne séance de stretching à la fin pour délasser les muscles et conserver l'élasticité ainsi que le relâchement.

Bien entendu, il ne s'agit pas d'exercer ses muscles en volume de façon démesurée mais bien de rechercher la solidité et la puissance dans l'explosion. Le travail de la musculation spécifique est une grande partie du travail structurel du style, le fameux « Kung ». La tenue de corps par des muscles solides est le ciment entre les parpaings qui fait que le mur tient. C'est en tout cas le but des exercices de musculation spécifique de notre style, le fatsan pakmei.
             Démonstration rapide d'une certaine explosion. Je mesure 1,92 m pour 100 kg. 

Le Qi et la puissance, la dimension interne
Le développement du Qi (l'énergie interne) dans la métaphysique chinoise en terme de sortie de "force" est en réalité cette chose qui génère la force, la frappe, l'impact, et est donc couplé à la mécanique musculaire pour produire son effet dévastateur. Le Qi produit la force qui est expulsée et peut donc s'exprimer à l’aide des muscles. Ce phénomène se traduit par l'explosion musculaire, le muscle étant le véhicule du Qi dans l'impact. L’explosion de cette énergie se traduit par une contraction brève des muscles « too » (contraction/décontraction). Sans muscle, aucune contraction brève, aucune sensation et feeling lors de la frappe.
Ils sont donc liés l'un à l'autre de façon interdépendante. Le Qi seul ne peut rien, le muscle sans le Qi sera une masse inerte, lourde et sans réel avantage dans un combat.

Conclusion

La pratique de la musculation n'est pas un frein et est même selon moi nécessaire à la formation complète du combattant. Maintenant, il va sans dire que la musculation ne doit pas se faire à outrance et que le but ne doit pas être la masse démesurée et qu'il est plus judicieux de se mettre à la musculation une fois l'art martial développé que se mettre à l'art martial une fois la masse lourde développée... Une simple question de bon sens :)

Démonstration de rue des exercices de musculation spécifiques.