LAO SIU LEUNG PAK MEI KUNE

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lundi 25 février 2019

Connaissances additionnelles ou pratiques multiples ?




Dans les arts martiaux, nous pouvons rencontrer de nombreuses personnes allant manger à tous les râteliers ; j'entends par là, des pratiquants qui récupérèrent à droite et à gauche des techniques pouvant enrichir leurs compétences. En ce qui concerne les arts purement chinois, c'est une pratique très répandue, des touche-à-tout essayant une forme par ci par là. En matière de développement de réactions instinctives, ce n'est pas une bonne chose à mon sens mais les chemins vers l’efficacité sont multiples. Pour avoir une ouverture d'esprit sur ce qu'il se fait ailleurs, il faut aller voir.
Paradoxal ?  Développons...

Chose très méconnue, nombre de maîtres ont une pratique d'au moins un style annexe, qu'ils gardent uniquement pour eux. Certains autres maîtres du passé revendiquaient eux leurs pratiques diverses sans langue de bois.

En effet, la pratique de multiples styles n’est pas rare et s’est toujours vue en Chine. De grands noms tels que Sun Lutang pratiquaient Taiji Quan, Xingyi Quan et Bagua Zhang. Certaines boxes se pratiquent associées presque invariablement ensembles telles que le Baji Quan et le Pigua Quan.
Alors pourquoi être si catégorique ?

Pour bien y répondre, commençons par déterminer les différents niveaux de pratique

Le débutant
Celui-ci DOIT travailler les bases d’un style unique en commençant par bien choisir le système qui lui correspond, dont la technicité et les qualités requises collent à ses capacités naturelles.
Enseigner à celui-ci divers styles est absurde. Il sera peut-être satisfait et aura l’illusion de s’entraîner et de toucher tout un éventail de choses, mais il n’aura aucune chance de développer quoi que soit de pérenne. Comment faire un cours de Wing Chun le lundi et un cours de Hung Gar le mardi avec des principes, des positions et des stratégies opposés ou souvent contradictoires ? Quand encore ce n’est pas une forme de Wing Chun et une de Hung Gar à la suite dans un même cours ! Beaucoup se rendent compte par eux-mêmes après une paire d’années de pratique que la progression s’en trouve faussée, les autres... vivent dans l’illusion de la pratique. (Conf l’article : “l’illusion de la pratique“)

L’élève avancé
Celui-ci a déjà développé quelque chose, a un sens du combat plus aiguisé, la structure est déjà en place... Si le professeur possède différentes pratiques, pourquoi pas... Mais tout le monde n’en est pas capable, certains élèves trouveront même que le programme d’un unique style est trop volumineux.
Quelquefois le choix se fait naturellement, l’élève souhaite lui-même persévérer dans une pratique unique, quelquefois il désire enrichir son expérience.


Le professeur
Le professeur, celui qui détient la connaissance... mais la connaissance de quoi ?
Le professeur doit être un expert, il lui incombe la tâche de montrer le chemin. Il existe bien sûr de bons et de mauvais professeurs. Choisissons le bien...
Connaître une forme par style n’est pas une expertise. Le professeur enseigne-t-il à plein temps ou se libère-t-il deux soirs par semaine pour mener sa classe ? Cette question est importante car elle pose le problème du temps ou plutôt, du manque de ce dernier.
A-t-il le temps de développer ses pratiques si elles sont diverses ? La pratique du nombre de formes du curriculum pose souvent un problème à ce niveau. Comment pouvons-nous développer divers systèmes sans temps ?
Tous les pratiquants ne l’ont pas forcément pour parvenir à tout pratiquer, à tout développer. 
L’enseignant qui possède de nombreuses formes et styles, peut lui, combler l’appétit de l’élève boulimique mais il doit bien choisir ce qu’il enseigne et à qui. Encore une fois, tout le monde n’est pas capable de tout enregistrer.


Alors finalement, pratiques additionnelles ou pratiques multiples ?

Mélanger les styles ou acquérir des connaissances additionnelles n'est pas la même chose. En premier, il faut savoir ce que nous voulons. Soit, nous ressentons un manque dans notre technique, soit nous voulons tout apprendre en grand boulimique des arts martiaux que nous sommes, soit nous sommes juste curieux d'autres choses, d'un goût nouveau.

Les pratiques multiples dans le sens où je présente ce terme ici sont liées à l’amoncellement de connaissances superficielles sans avoir préalablement acquis un système complet.
Une forme d’un style par ici, une autre par là. Butiner les fleurs comme une abeille affamée n’a pas de sens, et si c’est ce qui nous plaît, soyons conscients que nous ne toucherons que la surface de l’eau, nous passerons très probablement à côté des merveilles de corail immergées.

Les connaissances additionnelles sont, elles, plus sérieuses et sont surtout plus bénéfiques. Une fois un système maîtrisé, une structure et une stratégie développées, nous pouvons nous permettre de nous essayer à d’autres styles. Pas par centaines sinon nous rejoindrions le premier groupe, mais que ce soit pour le goût de certains autres, pour ouvrir notre esprit à la découverte de nouvelles sensations ou par envie de développer un système qui compléterait le premier, ce chemin est plus noble et surtout plus avisé.

Comprenons maintenant qu’il est extrêmement difficile de maîtriser toutes les facettes du combat. Peu de gens ont la capacité physique et intellectuelle de multiplier les pratiques.
Pour exemple, les combattants de MMA sont majoritairement spécialisés. Soit ce sont de bons puncheurs, soit de bons grapplers. Ils tentent de combler leurs lacunes en s’entraînant (sérieusement, ai-je besoin de le préciser ?) aux divers arts nécessaires à leur victoire, mais ils demeurent tout de même globalement spécialistes dans un des deux domaines. Bien sûr, leur cas est quelque peu différent et doit donc être considéré séparément. Ce sont des sportifs qui se préparent en connaissance de leur adversaire, ils étudient avant le combat les points forts de celui-ci et mettent une stratégie en place pour le contrer.

Dans la réalité, nous ne savons jamais sur qui nous tombons. Il est donc préférable de choisir dés le départ un système ayant la possibilité de donner des réponses à tout type d’attaque sans avoir à se perdre dans une multitude de disciplines.

Est-ce que cela nous empêche pour autant d’aller à la rencontre d’autres pratiquants ?
D’aller voir ce qu’il se fait ailleurs ? Aucunement, car nous aurons peut-être l’occasion d’apprécier d’autres manières de faire, tout aussi efficaces et pourquoi pas... de meilleures que les nôtres. Si ce n’est pas le cas, nous retournerons travailler avec encore plus de motivation.


Conclusion
Ne vous méprenez pas sur le message de cet article, l’intention n’est pas de condamner les pratiques additionnelles, mais les pratiques multiples sans profondeur. Il faut comprendre à quel niveau nous nous situons, être conscient de notre capacité d’assimilation et bien entendu, du temps que nous allouons à la pratique.
Au commencement il n'est pas judicieux d'aller grignoter partout. Il est plus que préférable de s’efforcer de maîtriser son sujet ; aller au bout de sa pratique initiale. Puis par la suite, lorsque nous avons une "maîtrise" ou tout au moins une expérience solide dans un art, nous pouvons nous permettre de nous essayer à autre chose. Nous avons donc notre pratique principale, celle qui nous prend le plus de temps, plus une spécificité qui nous fait plaisir ou qui nous apporte des compétences supplémentaires.

Comprenons que la maîtrise d'un style est longue. En pratiquant assidûment notre système, nous aurons toute la facilité du monde à en intégrer d’autres. Pour ce faire, un peu de travail suffira, à condition tout de même que ce nouveau système nous corresponde, physiquement et/ou qu'il ne soit pas diamétralement opposé à ce que nous pratiquons à l’accoutumée (à moins de posséder d’extraordinaires capacités d’adaptation).

Pour l'enseignant qui possède plusieurs pratiques et qui souhaite tout enseigner, il devra bien séparer chacune de ses compétences. Enseigner à des novices une chose et son contraire dans la même classe est contre-productif.

Si l'on veut être bon (excellent), si l’on veut arriver à développer des réflexes naturels spontanés, précis et efficaces, il faut former le corps dans un même sens. Nous avons tous autour de nous des pratiquants multi-cartes qui au final, ne sont pas bons à grand-chose.



jeudi 7 février 2019

A la découverte des Seng Bing 僧兵 partie 2: Le cas Shaolin 少林寺


Le cas du temple de Shaolin du Henan

Fresque murale témoignant de la pratique martiale des moines à Shaolin. 19ème siècle 


      Suite à la première partie dans laquelle je décrivais ce qu’étaient historiquement les moines soldats, leur comportement et leur rapport au bouddhisme, je vais maintenant traiter du cas de Shaolin.
Je voulais commencer en précisant que mon but n’était pas de brûler (au sens figuré) le temple de Shaolin une énième fois. Je dois bien confesser que je fus moi aussi, un inconditionnel de Shaolin dans ma prime jeunesse. 

Je me souviendrai éternellement de la première fois que je vis les moines en action, au tout début des années 90. Je me trouvais devant la télé, sur la page mosaïque présentant dans des carrés minuscules les chaines du câble auxquelles nous ne pouvions accéder. Je fus subjugué par ce que je vis ce jour-là. Des moines, têtes rasées, vivant dans un monastère reculé, pratiquant les prières et la méditation mais également capable de prouesses qui me paraissaient surhumaines. Qu’est-ce que c’était que cela ? Incroyable, magique… Lors de mon cours de Taiji Quan suivant, j’apprenais de mon professeur qu’il s’agissait des moines bouddhistes de Shaolin. Je devins à partir de ce jour leur plus fervent admirateur. Je collectionnais alors tous les articles, livres, représentations possibles les concernant. Mon but était alors d’aller m’entrainer là-bas, au temple, pour une période d’une année complète. Je voulais devenir moine guerrier. 
J’avais alors 13 ans, j’écrivis avec l’aide de ma mère une lettre au consulat chinois afin de leur demander la marche à suivre. Vous savez quoi ? Ils me répondirent ! Dans un français approximatif mais très amical, ils m’expliquèrent qu’ils ne pouvaient pas me renseigner mais trouvèrent cela hors du commun et saluèrent mon courage.

“- Non mais attendez, vous n’avez pas compris… moi je m’en fiche des politesses ! Je veux m’y rendre, donnez-moi une solution !“

     Finalement, la maturité et l’expérience des années qui suivirent me firent renoncer à l’expérience. Je compris ce qu’était devenu Shaolin et que mon chemin serait ailleurs. Si bien que j’ai d’ailleurs attendu plus de 15 ans de voyages en chine à raison au minima de deux fois par an avant de partir visiter le temple de mes rêves d’enfant. Mon intérêt était ici encore, ailleurs. Je dois maintenant confesser que durant les années qui suivirent, j’ai ressenti une sorte d’aversion (je sais, le mot est dur) envers Shaolin, ses moines et ses pratiques. Sachant d’ores et déjà que l’art martial y avait été recréé, je n’y voyais qu’une farce organisée pour les touristes. Puis, suite à une de mes visites, l’intérêt pour ces pratiques originales mais surtout le comportement historique de ces moines ont fait renaître en moi une affection enfouie.

Voici ma petite histoire pour vous introduire mon intérêt à l’égard du temple. Avant que vous ne lisiez ce qui suit, je tiens à préciser que les recherches que j’ai menées sont impartiales et historiques. Les faits, sont les faits, et si mes commentaires et conclusions sont abruptes, n’y voyez rien de personnel, je fus moi-même, à un moment donné, le plus grand fan du « Premier monastère sous le ciel »…

Alors pourquoi avoir choisi de traiter de Shaolin ? Je ne pouvais pas en toute objectivité faire l’impasse. Shaolin étant le plus documenté de tous les temples ayant abrité des Seng Bing, j’ai donc décidé de l’exposer dans un article séparé et par là-même, d’en décrire les pratiques et mythes popularisés outrageusement. Je vais tenter d’en dresser un portait clair, au plus près de la réalité mais en même temps, bien loin du romantisme que la tradition orale veut bien lui prêter.


Commençons…

   Le cas de Shaolin doit être pris différemment selon les diverses périodes de sa riche histoire. Sous les Tang, les Ming et les Qing les choses ne furent pas exactement les mêmes. Je vais donc commencer par développer l’histoire générale chronologiquement, dynastie après dynastie. Présenter les grands écrits et périodes importantes, les évènements marquants et les pratiques ayant eu lieu sur les terres du temple tels que relatés par les différents visiteurs militaires et civils tout au long de son histoire.
En fin de chaque période, je dresserai un petit résumé ou approfondirai certains faits.
Je traiterai ensuite séparément de sujets précis qui méritent d’être soulignés ou plus approfondis avant d’en établir ma conclusion. 


Sous les Tang (618-907)

-     Le premier exploit des « moines guerriers » est attesté sur une stèle datée de 728. Ceux-ci auraient repoussé une attaque de bandits tentant de faire main basse sur le monastère en 610 (toute fin de la dynastie Sui). 

-      Le premier exploit militaire au service de l’état est quant à lui daté de 621, lorsque les "moines" défendirent leurs terres qu’un seigneur de guerre du nom de Wang Shichong tentait de saisir. En réaction, les moines guerriers s’allièrent à l’ennemi de Wang, prêtant main forte à l'empereur montant Li Shimin dans la bataille de Hulao. Leur fait d’arme contribua à la victoire de Li Shimin dans ses efforts de sécurisation de la ville de Luoyang. Le nouvel empereur Tang gratifia alors le monastère de titres honorifiques militaires et d’une stèle signée de sa main, plaçant le temple sous protectorat de l’état. Le monastère gagna ainsi ses titres de noblesses qui ne le quitteront plus.

Stèle signée de Li Shimin

Cela soulève la question suivante : quelle pratique était dispensée au monastère à cette période ? 
La vérité est qu’aucun historien n’en a la moindre idée/preuve. Il n’existe pour ainsi dire rien de ce côté-là. Compte tenus des faits militaires, il est certain qu’une pratique martiale y fut dispensée, mais aucune trace d’aucune sorte n’en mentionne rien de concret. Ceci dit, en connaissance du développement des arts martiaux chinois, on peut aisément déduire qu’il s’agissait certainement d’une pratique martiale au sens militaire du terme ; du combat en formation et majoritairement (voire exclusivement) l’utilisation des armes.

Il faut savoir que les seuls textes disponibles, mentionnant l’art de combat des moines de Shaolin furent écrits des siècles plus tard. Ces textes attribuaient l’invention et l’enseignement des techniques de bâton à la divinité Vajrapani (Jin Na Luo en chinois)… Ok… D’un point de vue mystique, c’est très intéressant. D’un point de vue substantiel sur la détermination historique de la pratique… bien moins.  


Durant les dynasties Song et Yuan

    Aucun texte ne fait allusion aux pratiques martiales ou militaires de Shaolin, alors que nous savons que des forces armées monastiques du mont Wutai prirent, elles, part à diverses batailles conte l’envahisseur Jin.  Donc, à priori en termes de document, rien durant près de 800 ans. Également aucun rapport gouvernemental sur une quelconque participation des moines soldats dans des affaires militaires à la solde de l’état durant cette même période. Ceci ne révèle pas qu’aucune forme de pratique martiale n’ai été pratiquée au monastère, mais cela met en évidence d’aucune preuve corroborant une pratique continue vieille de 1500 ans.

-        1356 le temple fut détruit par les « Turbans Rouges ». Entre 1356 et 1359 le temple est complètement abandonné. Fait démontrant qu’aucune force armée n’est à ce moment-là en place dans le monastère ou qu’aucun art martial n’y est pratiqué sérieusement.


Sous les Ming (1368-1644)

    Sous les Ming, une nouvelle ère s’ouvre à Shaolin. On peut clairement parler d’âge d’or des exploits militaires du temple. La majorité des évènements politiques et militaires se situent ici.
A partir du début du 16ème siècle les moines s’illustrent dans des batailles contre des bandits au Henan, puis dans des campagnes de provinces voisines pour la solde du gouvernement.

-   1510 Contre le bandit Liu Liu
-   1520 Contre le bandit Wang Tong
-   1522 Campagne au Yunnan pour le gouvernement
-   1522 Campagne au Shandong pour le gouvernement
- 1548 Dans l’épitaphe de Sanqi Yugong il est notifié que des Moines Guerriers de Shaolin occupent des places officielles aux frontières du Shanxi et du Shaanxi
-   1552, 55 moines Shaolin prennent part au combat contre le bandit Shi Shangzhao
-   1553, 1ère bataille à Hangzhou contre les pirates Japonais en coalitions d’autres moines guerriers provenant de temple de Hangzhou.
-   1553 Bataille contre les pirates Japonais au port Wenjia
-   1553 Bataille contre les pirates Japonais à la « Plage du sable Blanc »
-   1554 Bataille contre les pirates Japonais dans la ville de Yexie
-   1554 Bataille contre les pirates Japonais à Majabang
-   1555 Bataille contre les pirates Japonais au pont de Liuli
-   1555 Bataille perdue contre les pirates Japonais à Chaomen
-   1560 Le général Yu Dayou visite Shaolin et défait facilement 10 des moines du temple au bâton. Il est déçu et clame que Shaolin a perdu la science de guerre pour laquelle il était connu.
-   1562 Le général Qi Jiguang décrit dans son ouvrage le Ji Xiao Xin Shu que le bâton de Shaolin est le plus renommé de Chine.
- 1568 L’adviseur Zheng Ruoceng publie l’ouvrage « 1er victoire des armées monastiques » (Seng Bing Shoujie Ji) décrivant les faits de guerre des moines et le comportement ultra violent de ceux-ci.
-   1595 Wang Shixing fait un rapport accablant à la cour dénigrant l’attitude des moines de Shaolin.
-  1595 Le superintendant de Shaolin en charge de la discipline monastique grave une stèle formulant explicitement que les moines au comportement inapproprié mis en place au monastère, seront punis à hauteur de leurs méfaits.
-  1610 Visite de Cheng Zong Yu, écrivant le premier manuscrit sur les pratiques des moines de Shaolin et spécialement sur le bâton, le Gun Fa Cang Zong.
 1630 Le magistrat du Henan emploie les moines pour curer certains troubles dans la province du Henan et pour instruire son armée personnelle. Ils ne gagnent qu’une bataille et sont exterminés par la rébellion des Musulman Hui (Lao Hui hui) de Ma Shouying.
-    1641 Destruction du temple par le seigneur de guerre Li Zicheng.

    Nous voici au milieu du 16ème siècle, l’apogée de la pratique martiale Shaolinesque.

  L’état Ming décide d’utiliser des moines guerriers afin de palier à leur faiblesse militaire grandissante. Les pirates Japonais font des raids extrêmement violents sur les terres chinoises via la province du Zhejiang depuis de nombreuses années et le gouvernement n’arrive pas à y mettre fin de façon définitive. On envoie donc des forces paramilitaires en renfort, des milices de bonzes guerriers afin de prêter main forte. L’utilisation des moines guerriers s’avère être efficace, même si en réalité, les victoires ne permettaient d’anéantir que quelques centaines de pirates. ; Shaolin n’étant pas la raison de la défaite des pirates, qui était due en réalité aux efforts du général Qi Jiguang.

Cette aide plaça Shaolin, pour la seconde fois de son histoire, sous patronage et protection du gouvernement. Shaolin envoyait des troupes chaque fois que l’état le demandait et en contrepartie le monastère pouvait bénéficier d’arrangements divers, d’exemption de taxes, et d’une relative tranquillité dans la gestion de ses affaires politiques et sociales avec le gouvernement de la province du Henan.

La réputation de Shaolin produisant des guerriers invincibles était née. A ce moment-là, de nombreuses personnalités tout aussi bien martiales que civiles visitèrent Shaolin. Ce qu’ils nous en rapportent est très variable selon les périodes, et quelquefois à seulement quelques dizaines d’années d’intervalle.


Nous avons par exemple les rapports suivants :

- Gong Nai, vice-ministre des rites de l’académie impériale sous le règne de Wanli (1573-1620) offrit une description de Shaolin dans un poème après être passé au monastère :

J’ai voyagé par la vallée Xuanyuan au Mont Song durant le festival de la mi-automne et ai visité Shaolin le matin très tôt. Le monastère est comme un camp militaire, les moines assemblés dans la cour se tiennent comme des guerriers. Ils retirent leurs robes et remontent leur manche, on peut voir la suprême confiance dans leurs yeux. Etc… ajoutant nombre de formules imagées pour décrire les prouesses physiques des moines.

- Le conseiller d’état Zheng Ruozheng décrit dans son recueil de 1568 : « Victoires des armées monastiques » (Sengbing Shoujie Ji), l’affrontement ayant eu lieu entre le moine Tian Yuan de Shaolin et un groupe de moines d’un temple de Hangzhou (confère à la découverte des Seng Bing partie 1). 
Ensuite il présente la formation d’une unité de moines comme suit : 2 soldats lanciers suivis par des soldats armés de bâtons de fers et de hallebardes. A droite et à gauche, un arbalétrier et un utilisateur d’arme à feu (non précisé).

Puis, s’en suit la description de la bataille qui allait coûter la vie à 160 pirates japonais :

Le capitaine Wuji lança l’assaut criant le nom de bouddha 3 fois, puis cria TUER TUER ! Les moines soldats attaquèrent de leurs lances crochets et les archers tirèrent. Les moines armés de bâtons de fer suivirent tuant les pirates ayant été mis au sol par les lances crochets, suivant ceux-ci par des moines armés de sabres. Les ennemis voulurent se défendre des lanciers, mais furent pris par les flèches. Nombreux furent mis au sol par les lances crochets, ne pouvant protéger leurs jambes. Les moines couvrirent leurs visages avec de la peinture bleu portant également des écharpes rouges. Les pirates furent effrayés, pensant que les moines furent envoyés par le bouddha. Les arbalètes à gauche et droite firent feu. Tous les pirates furent défaits.

Il termine par décrire le comportement d’un moine ayant poursuivi et tué sauvagement de son bâton de fer une femme de pirate japonais qui tentait d’échapper au massacre.

- Vers la fin des Ming, la province du Henan souffrait d’une famine extrême et des problèmes économiques sérieux. A la cour, Wang Shixing (1547-1598), est très mécontent.

Dans son ouvrage intitulé Yu zhi I, (Rapport du la province du Henan) (1595) il est fait mention : Quant à Shaolin, seuls les moines itinérants, qui viennent de loin, y conservent les règlements bouddhistes convenant à un monastère. Les moines du Henan n’ont aucun certificat d’approbation, les bandits se rasent aussi fréquemment la tête, changent d'apparence et rejoignent l'ordre monastique. Une fois leurs problèmes terminés, ils redeviennent laïcs. Peu importe qu'ils soient sédentaires ou itinérants, vous ne trouverez pas un moine sur cent qui ne boit pas de vin ou ne mange pas de viande. Ils ne sont intéressés qu’en la pratique de la boxe et du bâton.

Nous retrouvons ici nos Seng Bing bien aimés :)

Lu Da aka "Sagesse profonde"
la personnification des Seng Bing dans le roman "Au bord de l'eau"


Sous les Qing (1644-1911)

-  1644 Début de la dynastie Qing
-  1659 Visite de Gu Yuan Wu qui décrit qu’il ne trouve que quelques moines et que leur niveau n’est « pas meilleur que celui de mendiants de rue »
- 1678 Visite de l’historien et expert martial Wu Shu qui déclare dans son ouvrage le Shou Bi Lu, que la pratique au bâton est bonne, mais rapporte la mauvaise utilisation de la lance (dans laquelle lui-même est expert). Il indique que les moines utilisent les lances y appliquant des techniques de bâtons.
-  1700 Visite de Wangjie gouverneur du Henan décrit qu’aucun art martial n’est pratiqué à Shaolin
- 1739 L’officiel Mongol Yaertu rapporte à l’empereur Qian Long que Shaolin est coutumier d’actes de violences et que le nombre de ses moines augmente avec l’ajout de criminels.
- 1775 L’empereur Qian Long interdit l’utilisation des moines guerriers par le gouvernement local de la province du Shandong déclarant que le bouddhisme était l’unique pratique acceptable du temple.
-  1784 Cao Huandou décrit dans son ouvrage le « Classique de la boxe » (QuanJing Quan Fa Bei Yao) que les moines de Shaolin pratiquent la boxe des 8 immortels ivres, la boxe du singe, la boxe Mi Quan (Mizong Quan), le Mei Hua Quan et la boxe courte de la famille Yu.
-   1828 L’officiel Lin Qing visite Shaolin et décrit les moines comme étant « agiles comme des oiseaux et forts comme des ours »
-  1830 Le magistrat He Wei fait un rapport à la cour décrivant l’attitude des moines de Shaolin comme suivant : Des fêtes d’ivrognes, des jeux d’argents, ayant une sexualité offensante, ayant des relations avec les criminels de tous bords. Il demande des punitions sévères.
  
      Nous pouvons maintenant constater que sous les Qing, la pratique martiale ainsi que la réputation de ses moines est littéralement en dents de scie.  Le monastère fut déserté, puis réhabilité, l’art martial semble y avoir disparu, puis réapparu. Il semble également avoir perdu en efficacité avant d’être encensé de nouveau. La pratique martiale y fut interdite sous le règne de Qian Long, puis, tolérée de nouveau… Le comportement des moines durant les périodes plus fastes n’a guère changé et les rapports gouvernementaux les décrivent toujours avec le même dédain.


L’ère républicaine

-  1928 Destruction majeure du temple par les troupes du seigneur de guerre Shi Yousan. La bibliothèque n’a pas survécu à l’incendie.
-  1936 Visiteurs étrangers décrivent un temple vide
-  1966 Destruction et violences prodiguées par les troupes communistes
- 1976 Le gouvernement place sous la juridiction d'un minuscule département intitulé wenwu baoguan (gestion des guerriers universitaires), contrôlant le temple et n’allouant aux moines aucun acte religieux régulier.
- 1978 Un an après la mort de Mao, le parti communiste rétablit le droit de liberté religieuse.
-  1982 Réaménagement du temple avec l’appui du gouvernement suite au film de Jet Li « Le temple de Shaolin ».
- 1985 Ouverture de la première école soutenue par le gouvernement, la « Shaolin Wushu Xuexiao »
-  1986 Shi Xing Zheng est promu officiellement abbé du monastère. La première fois depuis 335 ans. Il décèdera l’année suivante.
- 1988 Ouverture de la première école gouvernementale, la « Songshan Shaolin wushuguan »
-   1989 Première équipe de démonstration internationale fut créée.
-  1999 Le « Directeur Général » Shi Yongxin est (malheureusement) promu abbé officiel…

    Durant l’ère moderne, s’étalant de la période républicaine (1911) à nos jours, le monastère a souffert d’abandon puis, de réhabilitation.

Il a vu se succéder différents moines à sa tête, des abbés honoraires, jusqu’à l’avènement de Shi Xing Zheng (1914-1987), premier abbé officiel depuis 335 ans. En effet, durant l’ère républicaine, Shaolin possédait un abbé honoraire nommé Shi Zhenxu (1893-1955). Suite à l’incendie de 1928, le moine Shi Dechan (1907-1993) prendra la tête du monastère jusqu’à l’ordination de Shi Xing Zheng. Ce dernier décéda tout juste un an après sa sacralisation, laissant la place à Shi Suxi (1924-2006), encore une fois abbé honoraire. La promulgation du dernier abbé Shi Yongxin ne se fera qu’en 1999, donnant à Shaolin, un nouvel abbé officiel.

 Brûlé une première fois en 1928, puis, mis à sac par les gardes rouges dans les années 60, la population de ses moines fut dissipée jusqu’à pratiquement 
disparaître.

     Dans un article du New York Times du 11 septembre 1983 “Of Monks and Martial Arts”, le journaliste Christopher Wren recueille sur les terres du temple, le témoignage d’un vieux moine du nom de Fu Yun. Ce dernier avance que lorsqu’il joignit le temple en 1930, la population des moines était de 300, qu’ils pratiquaient le Wushu 6h par jour en dehors des séances de méditation et que le but de la pratique était de les garder en forme. Il quitta le temple pour retourner travailler aux champs en 1949 et revint au monastère après la révolution culturelle lorsque le parti communiste adopta une plus grande tolérance des pratiques religieuses. Il confesse également que les visiteurs sont désappointés d’apprendre en arrivant que les moines ne pratiquent plus le Wushu et que lui-même, dans sa soixantaine peut toujours pratiquer mais avoue-t-il : « - plus vraiment bien ».

Selon les archives officielles du temple de Shaolin, la population monastique étant restée durant la révolution culturelle s’élève à seulement 13 moines, 90% des moines étant retournés dans leurs campagnes d’origines ou s’étant cachés dans les collines environnantes.
Après 1982, la sortie du globe Buster « Le temple de Shaolin » marquera le renouveau de Shaolin. A ce moment-là, les arts martiaux ont perduré tant bien que mal en dehors du monastère, dans des villages alentours. Ils continuaient d’être pratiqués par une poignée de vieillards se souvenant ce qu’il pouvait des boxes apprises dans leur jeunesse avec des moines.
Les écoles commencèrent à pulluler tout autour de Shaolin mais aussi et surtout, dans la ville proche de Dengfeng. Trois équipes de démonstrations virent le jour et démarrèrent les tournées internationales. Equipes faites de faux moines pour la plupart. 

   Nous arrivons maintenant à notre époque, avec ce que nous connaissons du Shaolin d’aujourd’hui. Le temple est à nouveau supporté par le gouvernement et vit la seconde période la plus faste de son histoire. Bien sûr, ce support comporte un revers de médaille. Maintenant, des flots de touristes incessants foulent son sol, nous y rencontrons des moines armés de rolex et de téléphones portables, des scandales sexuels, un abbé richissime… mais également, quelques anciens moines du début des années 80 tentant de sauver les apparences et par là-même, les techniques du fameux « premier monastère sous le ciel » … du peu de ce qu’il en reste.


Les soubresauts de l’histoire

    Comme vous avez pu vous en rendre compte, l’histoire de Shaolin ne fut pas un long fleuve tranquille. En véritable dent de scie, tantôt porté en estime par le gouvernement, comme sous les Tang, les Ming ou dans l’ère moderne, tantôt oublié, comme sous les 3 dynasties suivantes. Il fut supporté, puis oppressé, à maintes reprises. Il gagna définitivement ses lettres de noblesses sous les Ming, jouissant d’une réputation d’incroyables combattants, mais de piètres bouddhistes. L’art martial y fut d’un haut niveau, puis, y disparut, réapparut continuellement. La pratique y fut admise, supportée puis interdite avant d’y être à nouveau supportée.


Comment était perçu le temple de Shaolin par les autorités ?

    Il y eut deux périodes durant la période Ming. Sur la première moitié de la dynastie, le monastère a bénéficié majoritairement de l’appui gouvernemental, faisant de celui-ci un nid à combattants dans lequel il pouvait puiser quand leurs forces militaires étaient en déroute. 

Le Bouddhisme et l’entraînement militaire étaient très largement acceptés et même favorisés. Le temple fut considéré et utilisé comme formateur de soldats à tel point que dans son manuscrit militaire, le général Yu Dayou lui-même traite les moines comme étant des confrères.

Cette période faste, fournissant de la chair à canon à l’armée Ming marqua définitivement deux aspects largement encore répandus aujourd’hui.

1 : Le lien entre Shaolin, pour toujours loyal à la dynastie Ming.
2 : La réputation d’invincibilité de ces moines guerriers.

La seconde moitié de cette même dynastie sera plus équivoque, le gouvernement utilisant moins les armées monastiques, mais déplorant les attitudes déviantes de ses moines.

Sous les Qing, Shaolin malheureusement fort de cette réputation férocement associée à la dynastie Ming, ne jouira pas de la même réputation martiale aux yeux de la cour. L’état Qing restera suspicieux envers Shaolin sur les 300 ans de son règne n’allouant pas à Shaolin le droit de posséder une quelconque armée, par peur de rébellion et d’association avec les sectes révolutionnaires (tout le monde connait l’adage, « A bas les Qing, restaurons les Ming » scandé par les sectes révolutionnaires tentant de renverser l’envahisseur Qing et de restaurer le pouvoir Ming). L’état tolèrera semble-t-il tout de même la pratique de divertissement.
De confession majoritairement bouddhiste les Qing supporteront la pratique du bouddhisme. En témoigne toujours la plaque d’accueil au-dessus de la porte d’entrée du temple, calligraphiée de la main même de l’empereur Kangxi, second empereur de la dynastie Qing.

Plaque originale calligraphiée de l'empereur Kangxi, photo des année 20

Sous l’ère républicaine le temple tombe en désuétude, le gouvernement ne porte aucune attention au monastère et finit même par le persécuter. Puis, après la chute de Mao, l’état comprend bien que Shaolin peut être une source sérieuse de revenus via le tourisme et réprouve toutes ses pratiques… sous contrôle.
Le monastère possède aujourd’hui l’appui inconditionnel du gouvernement.


Shaolin ne formait-il uniquement que ses petits moinillons ? Et l’enseignement se faisait seulement de maître à disciple au sein de la Shanga (communauté monastique) ? 

    La réponse est clairement non. Des paysans et des visiteurs extérieurs se joignaient aux entraînements. Des laïques, enseignants d’arts martiaux ouvrirent des écoles dans l’enceinte et l’extérieur plus ou moins proche du monastère. Des militaires ont également contribué à l’apport martial et à l’enseignement.

Comme je le citais dans « à la découverte des Seng Bing partie 1 », les temples bouddhistes de grandes et moyennes tailles étaient riches, organisés en clergé, régnant sur des terres, et possédaient une influence politique certaine. C’était également le cas de Shaolin qui fut considéré comme un des monastères les plus importants du pays. De nombreux temples subsidiaires entouraient le temple. Ils appartenaient au monastère et étaient également le lieu d’entraînement de tous types de personnes extérieures au temple.
Selon les sources du temple, le monastère eut le pouvoir au plus haut de sa puissance sur 25 temples subsidiaires. Nous parlons également d’une population de 3000 moines résidents et plus de 800 dans ses temples auxiliaires. Aujourd’hui, le monastère règne toujours sur 10 temples comptant une population totale de 150 moines.

Durant la période républicaine et le passage au régime communiste, il ne faisait pas bon être moine ou pratiquant d’arts martiaux. La majorité des enseignements de Shaolin se firent là aussi, à l’extérieur du temple, dans les villages environnants par des vieillards ayant appris la boxe avec des moines dans leur enfance. 
   

Pouvons-nous donc considérer comme beaucoup le pensent, que l’enseignement du temple peut être tracé à partir de son origine, sans discontinuité et prendre le curriculum moderne de Shaolin comme étant celui des origines ?

   La réponse est assurément non. Lorsque la tradition des moines guerriers de Shaolin, fait remonter ses pratiques à la création du temple il y a de cela 1500 ans, la réalité est qu’à plusieurs reprises dans son histoire, la pratique y fut stoppée. L’art martial a évolué, s’est perdu, est réapparu grâce aux apports extérieurs.

Alors finalement quelle était la pratique originelle de Shaolin ?

Il est extrêmement difficile de répondre à cette question. Il n’y a pas eu qu’un simple et unique style enseigné à Shaolin. D’ailleurs, lors des recherches de lignées d’enseignements de maîtres à disciples, nous pouvons constater que durant des périodes identiques, les jeunes moines étaient disciples de maîtres différents ; ils pratiquaient donc des enchaînements issus de boxes différentes. Nous pouvons également constater qu’il y eut au temple de nombreux styles très divers enseignés durant les mêmes périodes.


Au sujet du bâton

Manuscrit du bâton de Shaolin de Cheng Zong You

     La dynastie Ming vit apparaître la littérature martiale. Nous avions pour la première fois des manuscrits représentant des sections de formes et des schémas décrivant les directions des déplacements. Ces premiers manuscrits décrivaient majoritairement des techniques d’armes. Personne à ce moment-là ne se préoccupait réellement de la pratique à mains nues, Shaolin ne semblant pas en être réputé.

Les premières traces écrites de pratiques martiales au monastère concernent le bâton. En 1560 le général Yu Dayou visite Shaolin pour la réputation des moines dans la pratique du bâton. Il demanda une démonstration et fut très désappointé. Il défia alors les moines lui-même et défit facilement 10 d’entre eux au bâton. Il est déçu et clame que Shaolin a perdu la science de guerre pour laquelle il était connu. Il précise dans son ouvrage de 1565, le « Traité d’épée » Jian Jing 劍經 (qui étrangement traite de la pratique du bâton) qu’il repartit avec deux moines de Shaolin du nom de Zongqing et Pucong afin de leur enseigner ses techniques de bâton. Les deux moines restèrent avec lui 3 ans avant de repartir enseigner les techniques de Yu Dayou à leurs coreligionnaires. La routine du général portait le nom de « Intercepter les 5 tigres ».

Un autre général de la même période, collègue du Général Yu, le Général Qi Jiguang mentionne dans son ouvrage le Ji Xiao Xin Shu publié en 1561, que le bâton des moines de Shaolin est très réputé (réputation qui semble antérieure au passage de Yu Dayou). Il ne décrira lui aussi aucune pratique à mains nues.

Le premier manuscrit sur la boxe Shaolin connu est le Shaolin Gunfa zanzong (technique de bâton également, mais qui mentionne l'intérêt croissant des moines à cette époque pour les techniques de boxe qu’ils tentent « d’élever au niveau de leur technique de bâton »). Manuscrit écrit en 1616 par un civil passionné d’arts martiaux nommé Cheng Zongyu (1561-1636). Ce dernier passa 10 ans à Shaolin pratiquant avec trois maîtres différents les techniques de bâton. L’un de ses maîtres se fera tuer au champ de bataille.
Il décrit les enchaînements : petit Yecha, grand Yecha, Yin Shou, Chuansuo (routine à pas libre) et Paigun (routine combinée de deux personnes). Le seul problème de cet ouvrage est que Cheng Zongyu prétend que les moines furent instruits par une divinité venue les sauver... 

Un autre texte décrit les pratiques de Shaolin comme étant simplistes, il s’agit du Shoubei Lu de l'auteur Wu Shu écrit en 1662. Wu Shu est un spécialiste de la lance et il avance que les moines de Shaolin articulent la lance d’une mauvaise façon, à la manière du bâton. Mais il décrit le bâton lui-même comme étant très efficace. Il s’agira en fait de la forme apporté 100 ans avant par le général Yu Dayou : « Intercepter les 5 tigres ».

Ceci laisse penser qu’il a subsisté dans l’enseignement du temple au moins deux écoles de pratique du bâton, celle de Shaolin décrite par Cheng Zongyu et celle laissée par le Général Yu Dayou.


Mains nues



    Les plus anciennes traces de pratiques à mains nues relatées à Shaolin apparaîssent dans un ouvrage nommé « Transmission secrète des points d’acupunctures du combat mains nues de Xuanji » (Xuanji mishou xuedao Quanjue) écrit par un certain Zhang Ming’E.

Dans ce manuscrit, il est donc fait mention d’un certain moine Xuanji (qui fut un moine instructeur en chef du temple ayant vécu au 17ème siècle et dont le nom est toujours présent sur une stèle visible au temple). Les boxes répertoriées comme étant pratiquées au temple sont celles qui suivent : boxe courte de la famille Yue (Yuejia Duanda), boxe des 8 immortels ivres (Zui Ba Xian), Miquan (ancêtre du style Mizongquan).

Le second manuscrit décrivant des boxes pratiquées à Shaolin date de 1784. Il s’agit du « Classique de la boxe, collection de techniques de boxes » (Quanjing Quanfa Bei Yao) de Cao Huandou. Cet ouvrage contient exactement les mêmes boxes que son prédécesseur, exception faite de l’ajout de « La Boxe Fleur de Prunier » (Mei Hua Quan).  Il apparaît que ces deux manuels furent écrits sur la base d’un seul et même manuel datant de la période transitionnelle Ming/Qing.

Voici quelque chose d’intéressant. Le manuscrit le plus ancien décrivant la boxe de la fleur du prunier est appelé « Introduction à la pratique martiale » (Xiwu Xu). Il fut écrit par un expert militaire du Henan nommé Yang Bing en 1742. Alors que les deux manuscrits de Shaolin partagent les mêmes styles, le second uniquement compte la boxe de la fleur du prunier. Entre les deux manuscrits, la boxe est née et fut décrite par un militaire. Voici ici un très bon exemple d’une boxe non originaire du temple, qui y fut introduite par des visiteurs extérieurs.

Il existe un troisième ouvrage, le "Shaolin Zongfa", considéré par certains comme étant une référence pendant longtemps, mais que nous ne devrions pas prendre au sérieux car écrit sous l'ère républicaine. Il y est décrit une boxe des 5 formes "le Shaolin Wuxing Quan". Dans les ouvrages précédents, aucune boxe de cette appellation n'est mentionnée. 

     Sous la dynastie Qing, les boxes de Shaolin se sont répandues dans les campagnes, des familles martiales ont continué de les pratiquer et les enseigner. Si nous cherchons bien dans les villages du Henan, il est encore plausible selon moi, de trouver des pratiques ayant un lien réel avec le temple (ce qui se pratiquait durant la fin des Qing et l’ère républicaine), bien qu’ici aussi, la révolution culturelle a indubitablement laissé ses marques.

Pour finir, dans des temps moins anciens, sous l’ère moderne de la fin des années 70/début des années 80, il semble qu’il y eut des échanges entre des écoles de village de la province du Henan et les moines de Shaolin, la boxe des uns enrichissant la boxe des autres.   

Selon le 少林寺武術百科全書 Shàolín Sì Wǔshù Bǎikē Quánshū “ Encyclopédie de la centaine d’arts martiaux de Shaolin“ compilé par le moine Shi Deqian en 1992 et considéré comme étant le manuscrit de référence des pratiques martiales de Shaolin (4 tomes, plus de 4000 pages, 3,8 millions de caractères...) ; les arts martiaux de Shaolin compteraient, accrochez-vous bien… : 178 formes à mains nues, 193 formes d’armes, 59 exercices de combats, 72 compétences diverses (Qi Gong, lutte, attaque des points vitaux, Tongzi Gung..), total s’élevant à plus de 500 formes et compétences martiales diverses.

Shàolín Sì Wǔshù Bǎikē Quánshū
en 4 tomes

Les quelques formes connues aujourd'hui comme les boxes Hong, Lohan, Qi xing, Paoquan, Mei hua, Liu he, Rou quan etc… sont des enchaînements provenant de divers styles Shaolin de la fin des Qing, mais le curriculum étant incomplet, les moines ont fait une synthèse qu'ils enseignent dans un programme commun. En réalité, elles proviennent de styles différents, et ces formes ne sont que des bribes de ceux-ci... (je ne m’exprimerai pas ici sur les enchaînements de "Tang Lang" "Tongbei" ou les formes de wushu animalières nouvellement créées et totalement dépourvues de sens commun).

Quoi qu'il en soit, nous ne connaissons pas réellement l'origine exacte des formes enseignées de nos jours mais si nous les comparons à celles décrites dans les ouvrages de la dynastie Ming, nous pouvons nous rendre compte qu’à l’exception des formes Taizuquan et Meihuaquan, ainsi que le bâton Yin shou, aucune ne correspondent. Il n’est d'ailleurs ici malheureusement pas possible de définir si ces noms identiques sont véritablement les mêmes enchaînements que ceux des textes… permettez-moi d’en douter.


Les apports extérieurs

     Vient la question de savoir si les pratiques de Shaolin étaient historiquement totalement originaires du temple ou si des apports extérieurs y furent introduits ?

Dans l’histoire de la chine, des échanges techniques entre civils et militaires ont quasiment toujours existés et c’est également le cas de Shaolin comme vous avez pu le voir. Des techniques de bâton furent introduites au temple par des généraux tel le Général Yu Dayou.
La province du Henan fut très prolifique en matière d’arts martiaux. Les boxes de Shaolin furent influencées par diverses autres boxes extérieures au temple, comme le Mei Hua Quan et le temple à son tour influença diverses autres boxes de la région tel que probablement le Xin Yi Ba sur le Xin Yi Quan. N’oublions tout de même pas que le monastère a vu passer et a formé des pratiquants durant des siècles.


Conclusion 

     Le temple gagna en renommée par la qualité des armées qu’il a su former.
Shaolin, après avoir été un centre bouddhiste très important, forma des milices qui furent actives, premièrement dans la défense des environs de la province du Henan, puis, pour la solde du gouvernement, contre les pirates Japonais. La pratique bouddhiste s’y est perdue, réapparue, ses moines se sont fourvoyés dans toutes sortes de débauches au fil de son histoire…

Le temple, grâce aux événements dans lesquels ses Seng Bing se sont illustrés jouira d’une réputation flamboyante, ceci même, dans ses longs passages à vide au fil de son histoire.
L’art martial de Shaolin ne peut définitivement pas être tracé sans discontinuité durant ses 1500 ans d’histoire, celui-ci ayant apparu et réapparu au fil du temps. Le temple fut réputé pour ses techniques de bâton, mais ce n’était pas les seules armes utilisées par ses moines. 
La boxe de Shaolin est relativement tardive et, est formée de divers apports, tantôt militaires, tantôt civils, mais Shaolin ne peut pas être réellement crédité d’une boxe créée par ses soins avant le milieu de la dynastie Qing. La pratique martiale en tant que pratique de développement personnel rattachée à la foi bouddhiste est elle aussi tardive et ne commence à apparaître au monastère que durant la toute fin des Ming, avec l’avènement des pratiques à mains nues.

    Aujourd’hui, avec la réouverture du temple pour des besoins gouvernementaux, l’enseignement de moines Shaolin aux laïques, des écoles de Kung-fu à l’extérieur du temple ou dans des temples subsidiaires alentours, les 36000 élèves de l’école voisine de Tagou rattachée au monastère, des visiteurs extérieurs ayant un attrait majoritairement martial, la débauche de ses moines, ses scandales et la perte d’intérêt religieux…  les choses n’ont finalement pas beaucoup changé…


Sources à la base de cet article ou lien pour aller plus loin :

En Français :
  • José Carmona : « De Shaolin à Wudang » 1999
  • Bernard Faure : « Bouddhisme et violence » 2009
  • Paul Démièville : « le Bouddhisme et la guerre » 1957
  • Shi  Nai’An : « Au Bord de L’eau » 1550


En Anglais :
  • Ben Judkins : « Chinese Martial Art Study »
  • Tory Ellarson : « Tea Serpent »
  • Meir Shahar : « Ming Period Evidence Of Shaolin Martial Practice» 2001
  • Meir Shahar : « The Shaolin Monastery History Religion and the Chinese Martial Arts » 2008
  • Peter A. Lorge : « Chinese Martial Arts » 2012          Stanley Henning : « Chinese Combative Tradition»
  • New York Time : Article du 11 septembre 1983
  • De Lu Zhouxiang : Politics and Identity in Chinese Martial Arts
  • Kai Filipiak : Civil-Military Relations in Chinese History: From Ancient China to the Communist   Takeover (Asian States and Empires)
  •  Melyvn C. Goldstein ‘A Study of the Ldab Ldob‘ Central Asiatic Journal 1964


En Chinois :
  •  Shi Deqian : The Encyclopedia of Shaolin Martial Arts (少林寺武術百科全書: shaolin si wushu baike quan shu, aka 少林武大全: shaolin wushu da quan),compilé par le moine Shi Deqian, au Temple de Shaolin 1995
  • Tang Hao 唐豪 :  Shàolín Wǔdāng kǎo 少林武當考 1930
  • Chéng Zōngyóu 程宗猷 : (c. 1621). Exposition of the Original Shaolin Staff Method 少林棍法闡宗 Shàolín Gùnfǎ Chǎnzōng (in Chinese)
  • Wu Shu : Record of Arms 17ème siècle