LAO SIU LEUNG PAK MEI KUNE

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lundi 30 mars 2020

Les études martiales historiques académiques





          Bonjour à tous, voici bien longtemps que je n’ai posté sur cette plateforme. Etant assujettie aux mêmes restrictions que tout un chacun en cette période de confinement, j’ai pu, bon gré mal gré, mettre entre parenthèse un certain nombre de choses… et en reprendre d’autres délaissées depuis longtemps. Et si ce temps était utilisé à bon escient ? 

Je tiens donc à profiter de l’occasion pour vous introduire ce concept bien chinois exprimé dans cette belle équation : Crise = Opportunité. 

Le caractère chinois pour crise Wei Ji 危机 se compose de Wei 危 : Danger, associé à Ji 机 : opportunité ou occasion. Il implique donc qu’en temps de crise, il faille préférablement y voir une possibilité, un changement pour du mieux. 

Nous appliquons ce concept naturellement, sans nous en rendre compte, mais lorsqu’il est pleinement conscient, il prend une toute autre dimension et est hautement plus bénéfique. 

Ayant ainsi tout le temps d’écrire (et de m’entrainer), me voici de retour avec un peu de contenu. J’ai démarré l’écriture de ce texte il y’a de cela presque un an, voici enfin mon devoir rendu. 

Commençons… 


       Lorsque j’ai débuté l’écriture de quelques articles sur ce même blog, il y a de cela 9 ans, je m’inscrivais sans le savoir (et à mon humble niveau), dans une tendance consistant à discuter et présenter les arts martiaux de façon plus académiques, plus historiques. Je mettais un point d’honneur à remettre des choses en places, je secouais certaines idées reçues, je tentais de briser les mythes et légendes répandues outrageusement. 

Ce nouveau courant, venu de Chine et développé dans les pays anglo-saxons, est encore à ses balbutiements et reste confiné dans un cercle de spécialistes relativement restreints. Encore ignoré dans nos contrés, les écrits sérieux en français sont très rares. 

Du côté de la Chine, des maîtres renommés ont produit et publié des travaux prodigieux en la matière. Le premier historien martial vraiment notable est l’artiste martial Tang Hao 唐豪 (1897-1959). Il fut le tout premier à ouvrir la voie et détruire les croyances entourant les boxes de Shaolin et Wudang. Un autre historien éminant dont les travaux sont très aboutis, est le maitre contemporain de Tongbei Quan, Ma Mingda, toujours actif à ce jour. 

Aux Etats-Unis, en Angleterre ou encore à Tel-Aviv, Ben Judkins, Mei Shahar, Paul Bowman, Peter Lorge, ou, pour le pionnier de cette génération anglo-saxonne, Stanley Henning, se distinguent. 


Tang Hao et son ouvrage 少林武當考(Shaolin Wudang Kao): Shaolin Wudang Examination

    Sur ce sujet, ne vous méprenez pas, je ne me prétends pas être au même niveau que ces chercheurs, je ne me place pas en historien, anthropologue ou je ne sais quel autre savant. Je ne suis au mieux qu’un divulgateur, un vulgarisateur, un simple passionné essayant de faire les choses le plus sérieusement possible. J’ai eu commis et je commettrai encore sans douter, des erreurs. Disons que j’essaie, en complète connaissance de mes capacités limitées, de suivre et de vivre le concept du “Wen et du Wu“, le martial et le littéraire, du mieux que je puisse le faire. 

Venons-en donc au réel sujet et au motif de la rédaction de cet article. 

         La raison me poussant à écrire un article sur cette tendance plutôt qu’un article historique ou pratique est lié à certains échangent que j’entretiens dans divers groupes de discussion sur les réseaux sociaux. 

J’ai pu constater majoritairement une tendance à répéter inlassablement ce que les traditions orales clament depuis bien trop longtemps. Les arguments déployés vont contre tous sens communs, sont majoritairement construits autour des légendes de ces dites traditions orales, mais encore plus, émanent d’un mysticisme occidentalisé basé sur les dires des premiers asiatiques ayant répandu l’art martial en France et/ou des premiers occidentaux à avoir fait le voyage à la “source“. 

Malheureusement, à cette époque-là, ces premiers voyageurs martiaux n’avaient aucune connaissance de la langue, et ne restaient généralement pas très longtemps avec un maître, dans une pratique complète ; au mieux, ils apprenaient une paire de Tao-Lu ci et là et ne revenaient pas. Il en découla naturellement une incompréhension probante des principes et de la culture martiale en tant que tel. En effet, je ne le répéterai jamais assez, il ne suffit pas d’avoir touché dizaines de styles succinctement pour en saisir l’essence, il ne suffit pas d’avoir rencontré X maîtres une seule fois dans sa vie pour en comprendre le discours, encore plus si nous n’avons aucune notion de la langue. 

Par le passé, j’ai déjà opposé, l’histoire factuelle et les traditions orales qui elles, découlent du mysticisme bien chinois ayant pour but de vendre une pratique. En somme, des fables destinées à enorgueillir les lignées, attribuant souvent un ancêtre invincible à leur palmarès extraordinaire. 

Ainsi donc, les histoires des traditions orales furent véhiculées sans aucune recherche de légitimité. Comme personne n’a eu la présence d’esprit de vérifier, ce problème est devenu récurant. 

Brisons quelques mythes : 

- Non, Bodhidharma n’a pas créé le kung-fu, conception qui ne lui fut attribuée qu’au milieu de la dynastie Qing (1644-1911) suite à l’adoption par les moines du “Yijinjing“ le fameux “Classique des Muscles et des Tendons“. Qi Gong qu’il n’a également pas créé puisqu’il fut élaboré et premièrement publié par un maître Taoïste du nom de Zongheng (surnommé Zi Ning Daoren 紫凝道人 “Taoïste Pourpre Condensé“) du mont Tiantai dans le Zhejiang en 1624 sous la dynastie Ming. Ce dernier en attribua la paternité (pour diverses raisons) à Bodhidharma, 11 siècles après sa possible existence, étant donné que celui-ci vécut au 5ème ou 6ème siècle. 

Pas plus d’ailleurs qu’il n’est resté dans une grotte face au mur durant 9 ans puisque cette anecdote provient de la préface fabriquée et fallacieusement attribuée au général Li Jing de ce même manuscrit. 


- Non l’art martial ne fut pas créé pour un quelconque développement personnel, même si c’est la tournure tardive qu’il finit par prendre à la fin de la dynastie Ming tout en restant un sujet n’ayant d’affection que pour les moines et les lettrés jusqu’à l’air républicaine (1912). 

- Non, vos traditions martiales ne remontent pas à 900 ans, pas plus qu’elles ne descendent majoritairement pas du monastère de Shaolin, pas plus que ce dernier n’est la source de tous les arts martiaux… 

- Non, les divers Shaolin du sud n’ont historiquement pas existé puisque cette légende et celle des 5 moines rescapés proviennent de la société secrète “Société du ciel et de la terre“ “Tian Di Hui“ 天地会 active au début du 19ème siècle. Elle fut ensuite largement développée dans le Wuxia (conte martiale) nommé “ Sheng chao Dingsheng Wannianqing " 圣朝鼎盛万年青 datant de 1893. 

Version republié du Sheng chao Dingsheng Wannianqing renommé: Qiang Long visite le Jiangnan

- Non, le Guan Dao ne fut pas utilisé par le général Guan Yu (160-220) puisqu’il fut créé 800 ans après la mort de ce dernier, pas plus qu’il ne pesait 18 kilos. Son nom historique étant Yan Yue Dao 掩月刀 “Sabre couvrant la lune“ que l’on peut rencontrer pour la première fois dans un manuscrit militaire nommé Wujingzong Yao 武經總要 publié 1040 sous la dynastie Song. Il prendra ensuite le nom répandu aujourd’hui de Yan Yue Dao (Yan différent) 偃月刀 “sabre croissant de lune“ dans les textes postérieurs, avant d’être renommé du nom du général Guan Yu “Guan Dao“ 關刀 “sabre de Guan“ sous la dynastie Ming à la suite de la publication du roman semi-historique le “Roman des 3 royaumes“. 

D’ailleurs, les Yan Yue Dao antiques en ma possession pèsent tous aux environs des 2,5kg. Même si ce poids peut être variable, nous sommes loin des 18 kg sus-annoncés. 

Représentation du Yanyuedao à droite du Wujing Zongyao,
première mention historique de l'arme sous la dynastie Song

- Non, le général Yue Fei (1103- 1142) ne fut pas adopté par une quelconque famille Wang de « protecteur » de Hangzhou même si cela fait très chevaleresque, puisque cette légende provient du Shuo Yue Quan Zhuan 说 岳 全 传 “Biographie Complète de Yue Fei“ qui n’est aucunement une biographie historique, mais bien un Wuxia (roman martial) datant du milieu de la dynastie Ming (entre 1684 et 1744, soit 600 ans après la mort du général), rédigé par un certain Qian Cai sur ses propres vagabondages imaginatifs et qui fut reprit par l’ancien juge en chef de Hong Hong, Yang Ti liang, qui republia après réorganisation le roman en anglais en 1995. 

(Ca, c’était une petite cartouche au passage pour toi Ludovic et pour George Charles car encore une fois “le jeune lion ne désire la place de personne“, mais pointe les incohérences lorsqu’il les rencontre et malgré vos railleries, vous n’apportez et n’apporterez aucunes réponses à mes arguments, vous ne les avez tout bonnement pas). 


Bref, autant de fables répétées en boucle, même si c’est ce que l’on vous raconte depuis des décennies. Les traditions orales sont colportées par les maîtres de leur lignée. Ne serions-nous pas en droit de nous questionner, combien d’entre eux sont historiens ? Il ne faut pas prendre pour certain les dires d’un maître, quel qu’il soit, croyez en mon expérience. 

Lorsque nous sommes sérieux et voulons être honnête dans notre cheminement, il est indispensable de considérer plusieurs sources distinctes, ne pas avancer avec des œillères et croire obstinément une seule et unique version. Il faut veiller à bien faire croiser les différentes informations et sources ; si vous avez accès à la source première, c’est encore mieux. Étudier avec précision les anciennes fresques, peintures et photographies. Puis, votre expérience et votre flair vous fera facilement entrevoir si le fruit est avarié. 

Certains sujets relèvent du point de vue, et sont donc discutables, d’autres, en relation à l’histoire, sont factuels et là, il n’y a pas à tergiverser. La vérité est quelque chose qui fait souvent mal et qui, de toute façon, est difficile à entendre si elle ne colle pas avec nos certitudes acquises 25 ans auparavant. 


La difficulté d’être entendu 

      Une réflexion que je fais régulièrement à ma femme, est qu’il est plus facile d’obtenir des « likes » sur les réseaux sociaux avec des photos de Ma Bu tous pourris en tenue de moine devant la grande muraille ou le temple de Shaolin, que par des articles demandant des semaines de recherches, des lectures diverses, des traductions et des voyages à la sources. À l’heure du selfie devant son miroir en 24 positions, cela devrait-il encore me surprendre ? 

Force est de constater que nous sommes en France à la traîne. L’incompréhension de certains (ou souvent leur manque d’objectivité) et parfois de mauvaise foi, me pousse à la réflexion. L’endoctrinement de ces mêmes vis à vis des dires de leurs professeurs est stupéfiant. Nous ne pouvons tout bonnement pas encore nous en prendre aux dinosaures racontant des fables depuis une éternité. Ce qui est dit depuis si longtemps, est forcément vrai. Cela démontre qu’il y a un énorme travail à faire sur l’éducation martiale historique. 

Vous me direz, je ne suis pas obligé de toujours donner mon avis et vous aurez raison, je ne le fais d’ailleurs pas toujours, mais si une question m’est posé, je suis dans l’obligation de répondre clairement et toujours très honnêtement. Si je ne sais pas, je ne sais pas, si je sais, je dis ce qu’il en est, je suis un homme assez binaire. Si vous n’êtes pas prêt à entendre les réponses, ne me posez tout simplement pas les questions. Je tiens d’ailleurs à remercie les sceptiques car par leur méfiance, si moi je ne les éclaire pas, ils me poussent eux à la réflexion et me font avancer dans mon cheminement. Donc œuvrons ensembles, continuez de m’emmerder, je continuerai de m’instruire. 

Je conclurai ce chapitre en citant le professeur Judkins, car tel qu’il le statue à raison : « L’histoire de l’art martial chinois est suffisamment incroyable, il n’est nul besoin d’en rajouter ». 

Cela soulève une réflexion ; celle du passage du temps sur nos déclarations. 

      Une fois ceci dit, je vais me faire avocat du diable, si celui-ci n’est pas malhonnête. 

L’erreur, dans ce genre de sujet est possible est pardonnable. Des textes et livres que j’ai pu écrire il y a 10 ans seront moins pertinents que ceux que je produis aujourd’hui, qui le seront peut-être moins que ceux que je produirai dans 10 ans. 

Sur certains points, ils ne peuvent être blâmés car ils ont fait avec ce qu’ils avaient en leur temps. Si les informations sont fausses pour cette raison, ce n’est pas grave, si les informations furent consciemment cachées ou déformées, c’est une autre affaire. 

En cas de doute, je commencerai pour ma part dorénavant mes écrits par « la tradition orale stipule que… » afin de ne pas être, comme ces dinosaures, rattrapé dans un futur lointain par mes diverses publications et écrits. 

L’intérêt des mythes et traditions orales 

       Comme je l’ai déjà statué à X reprises, les mythes, légendes et traditions orales me passionnent également, par leur charme, leur poésie et l’imagerie qu’elles véhiculent, mais je ne porte un réel intérêt que sur l’histoire avec un grand H. 

Entendez bien que quel que soit le style, la lignée pratiquée, en faisant croiser les diverses informations vous rencontrerez obligatoirement des incohérences, qu’elles soient d’ordre historique ou technique. 

En effet, inventer une lignée n’est pas chose nouvelle. Sous la dynastie Tang par exemple, il était courant que les candidats aux examens mandarinaux se créaient des lignées de famille pour légitimer leur postulat. Le simple fait de réussir aux examens ne garantissait pas les places et les fils de grandes familles de moindres compétences étaient souvent favorisés. Ainsi, la meilleure façon d’accéder aux postes convoités était de marier la fille d’un haut dignitaire. Pour se faire, il fallait posséder un bon pedigree, une lignée ancienne, de sang Han de père en fils depuis des générations. Les « cols blancs » ne se mélangeait pas. Les aspirants créaient donc des lignées de familles garantissant l’approbation du père... Bien sûr de nos jours, le but est différent, il s’agit souvent simplement de se faire mousser. 

Il faut comprendre que l’homme par nature enjolive, il raconte l’histoire tel qu’il s’en souvient et souvent se donne part belle. Si ce n’est pas le cas, l’auditeur lui, n’a pas vécu l’action et l’entend ou la visualise également à sa façon. Ceci, répété sur plusieurs générations donne ce que nous appelons vulgairement « le téléphone arabe », des informations détériorées par le passage du temps. 

Ce phénomène est très présent, et j’ai moi même pu constater à plusieurs reprises, lors de nombreux événements ou dans des d’articles parus à mon sujet dans la presse chinoise, des faits nettement enjolivés par rapport à ce qu’il s’était réellement produit. 

Cela implique-t-il de laisser totalement de côté les dires des traditions orales ? Nullement, si nous voulons posséder une vision globale de ce qu’ils étaient. Même si les traditions orales, tel que je l’ai déjà statué, sont constituées majoritairement de mythes et légendes, certaines n’en restent pas moins réelles où sont composées d’une part de vérité. Il ne faut donc laisser aucune piste de côté. 

Conclusion 

         Finalement, il faut, pour espérer débroussailler cette forêt, coupler les faits historiques, les traditions orales et tenter de mixer cela à notre sens logique. Vous serez en droit de me poser la question suivante : comment être sûr que notre « sens logique » ne nous trompe pas ? De mon point de vu, le sens logique se développe avec l’expérience. Celui qui a lu beaucoup, a vécu en Chine, a côtoyé des maitres, a vu beaucoup de styles différents, dont la culture n’a que peu de secret et en parle la langue, aura je pense, un sens logique commun plus développé que celui qui ne connaît les arts martiaux que par le net, acquière ses informations de troisième main ou par des ouïes dire entre Paul et Jacques. Celui qui pratique d’anciennes boxes aura aussi certainement un sens logique plus prononcé qu’un autre n’ayant qu’une culture « Wushu modernisé ». 


Vous souhaitant une bonne pratique, instruisez-vous... dans la culture du Wen, et du Wu…